La lecture du rapport d'étape des enquêteurs français sur la tragédie du vol 447 d'Air France donne froid dans le dos.

Le document de 128 pages a été publié jeudi dernier par le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BÉA). Le jargon technique a beau être inaccessible au  commun des mortels, on comprend que les experts n'ont encore aucune espèce d'idée de ce qui s'est passé en ce premier juin, au large des côtes du Brésil. Et malgré l'absence totale d'émotion dans le texte, on réalise que les 228 personnes à bord ont vécu un cauchemar qu'on ne souhaiterait pas à son pire ennemi.

On sait maintenant que l'avion ne s'est pas désintégré en plein vol; il est plutôt tombé comme une pierre. La chute de 10 000 mètres a duré quatre minutes. Quatre minutes: une éternité. Quatre minutes d'horreur, quatre minutes vers une mort certaine. On prie pour que ces gens aient rapidement perdu conscience; mais ce qu'on sait d'incidents similaires laisse plutôt penser que malgré la force G, les passagers ont probablement été conscients jusqu'à l'impact final.

Comme le BÉA n'a pas pu encore consulter les rapports des autopsies pratiquées au Brésil, on ignore la cause exacte des décès. Mais, note le Bureau, la cinquantaine de corps repêchés «étaient vêtus et relativement bien préservés.» Aucune trace d'explosion ou d'incendie.

On dit souvent que, compte tenu des statistiques (en 2008, seulement 4 accidents graves par 10 millions de départs), la crainte qu'ont beaucoup de gens quand ils prennent l'avion n'est pas justifiée. Sans doute. Cependant, quand on pense à l'horreur des derniers moments vécus par les victimes de ces tragédies, les statistiques ne pèsent pas lourd.  

Les hypothèses

Depuis l'accident, plusieurs hypothèses ont été lancées pour tenter d'expliquer ce qui est arrivé. On a parlé de mauvais temps. Le rapport d'étape confirme que le plan de vol de l'Airbus A330 passait par une zone d'orages puissants, mais souligne que les conditions étaient «normales pour un mois de juin» dans la région. D'autres appareils qui sont passées dans les parages ont tout simplement contourné la masse de cumulonimbus, ce que les pilotes de l'AF 447 n'ont pas fait. Pourquoi?

On a aussi beaucoup parlé des sondes servant à informer les pilotes sur la vitesse de l'avion, qui ont connu des défaillances dans le passé. Les enquêteurs français ont confirmé que des données incohérentes sur la vitesse ont été transmises. Toutefois, ils sont convaincus que si les sondes ont pu être un facteur dans l'accident, elles n'en sont pas la cause première.

D'ailleurs le rapport préliminaire montre qu'en l'espace de 3 minutes 16 secondes, l'appareil a transmis automatiquement 24 messages de maintenance au sol, lesquels soulignaient diverses anomalies. C'est à ce moment que l'appareil a, pour la dernière fois, transmis sa position. Le contact radio était perdu depuis plus d'une demi-heure. En effet, à 1h35, un contrôleur brésilien qui échangeait de l'information avec l'équipage n'a brusquement plus obtenu de réponse. C'est le contrôle de Dakar, au Sénégal, qui devait prendre le relais, mais la communication n'a jamais été établie.

Bref, outre le fait de savoir que l'équipage et les passagers ont dû vivre des minutes absolument horribles, on nage en plein brouillard. Un peu comme après le plongeon du vol 990 d'Egyptair, il y a dix ans, une tragédie qui avait coûté la vie à 217 personnes, dont l'éditeur adjoint de La Presse, Claude Masson, et sa conjointe. L'incident paraissait incompréhensible jusqu'à ce qu'on retrouve les boîtes noires. On a alors pu entendre les conversations entre le pilote et le co-pilote et conclure que ce dernier avait coupé les moteurs dans une apparente tentative de suicide.

Il faut savoir

Si les boîtes noires de l'Airbus A330 d'Air France ne sont pas localisées, on ne saura probablement jamais ce qui s'est passé. Malheureusement, malgré les moyens imposants déployés, les chances de retrouver ces enregistreurs sont de plus en plus faibles.

La zone où des débris et des corps ont été retrouvés est vaste (17 000 km carrés). La mer est profonde, entre 900 et 4600 mètres, et les fonds marins y sont particulièrement accidentés.

Le secrétaire français aux Transports, Dominique Bussereau, a fait savoir que, contrairement à ce qui avait été évoqué plus tôt, les recherches ne prendront pas fin cette semaine: «Si on ne trouve pas avec les moyens classiques, on continuera avec des moyens d'exploration sous-marin. Tous nos efforts doivent mener à dire la vérité aux familles, au personnel d'Air France et à chacun d'entre nous qui utilise le transport aérien et veut savoir ce qui s'est passé.»

C'est une détermination qu'on ne peut qu'applaudir.