Le Canada fête demain les 143 ans d'une expérience humaine et politique qui aura façonné un pays imparfait certes, mais qui, malgré toutes les récriminations, se classe parmi les meilleurs endroits où vivre sur cette petite planète.

Pourtant, nous ne sommes pas encore, comme disait Jean Chrétien, le «plus meilleur» pays du monde. Et nous ne pourrons prétendre à ce titre tant que nous n'aurons pas réglé, ou à tout le moins attaqué sérieusement, le «problème» autochtone.

 

Encore aujourd'hui, le bilan du Canada en matière autochtone est une véritable honte nationale.

Heureusement pour nous, la communauté internationale est 100 fois plus préoccupée par le sort des pauvres phoques sur la banquise que par celui du million d'autochtones qui vivent trop souvent dans des conditions misérables. Des conditions tiers-mondistes, pour tout dire.

Constat alarmiste? Conclusion sensationnaliste? Jugez-en par vous-mêmes.

La semaine dernière, on a appris que des communautés autochtones du nord du Manitoba, durement touchées par la grippe A (H1N1), avaient été privées pendant des jours de désinfectant à main parce que ces produits contiennent de l'alcool.

C'est ce qu'a révélé la sous-ministre adjointe au ministère fédéral de la Santé, Anne-Marie Robinson, lors d'une audience d'un comité du Sénat. «Nous avons eu quelques cas de vol d'antiseptiques dans le passé dans certaines communautés. Le taux d'alcoolisme est parfois très élevé dans ces communautés et nous craignions de créer un danger (avec des produits contenants de l'alcool).»

Après plusieurs jours de tergiversations au ministère de la Santé à Ottawa, les bouteilles de désinfectant (l'une des mesures les plus élémentaires de prévention de propagation de la maladie) ont finalement été expédiées.

Pourtant, le taux de propagation atteint des proportions alarmantes dans ces communautés et la vulnérabilité historique des autochtones aux maladies infectieuses est connue et documentée depuis près de 100 ans.

Au Manitoba, on estime que deux tiers des 460 personnes infectées par la grippe A (H1N1) sont des autochtones, dont 25% habitent le nord de la province, dans des villages éloignés (les autochtones ne comptent que pour 10% de la population de la province).

Tous les jours depuis des semaines, des avions transportent des malades de ces coins reculés vers des hôpitaux de Winnipeg, à 500, 600 kilomètres au sud, parfois plus. Évidemment, les communautés autochtones du Nord n'ont ni les moyens ni le matériel ni le personnel pour soigner leurs malades sur place. Elles n'arrivent même pas à avoir le strict minimum de l'arsenal de prévention, comme des masques ou une bouteille de Purell.

La situation est tellement grave que les chefs de cette immense région ont décrété l'état d'urgence la semaine dernière, ce qui leur permet ainsi d'avoir accès à des fonds fédéraux et provinciaux d'urgence.

Les cris d'alarme des chefs se sont pourtant multipliés au cours des dernières semaines.

À Garden Hill (un nom dont la poésie détonne de façon spectaculaire avec la réalité), le chef, David Harper, en a eu marre d'attendre l'aide d'Ottawa et il s'est rendu lui-même à Winnipeg pour acheter pour quelques centaines de dollars de masques et de désinfectant.

De guerre lasse, les chefs ont finalement débarqué à Ottawa il y a quelques jours pour sonner l'alarme au Parlement même.

Cela n'a pas semblé émouvoir beaucoup le gouvernement Harper. Selon la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, tout est sous contrôle. «Le Canada est bien préparé pour la situation, a-t-elle affirmé la semaine dernière. Nous avons un plan national et nous le suivons». Pourtant, Mme Aglukkaq est elle-même autochtone du Nord. Elle doit bien savoir que son «spin» positif est bien loin de la réalité.

Selon un médecin qui travaille sur le terrain, Kim Barker, du service de santé public du Manitoba, le gouvernement fédéral ne semble pas réaliser que l'état de santé des autochtones dans plusieurs communautés est pire qu'ailleurs au pays et que les risques de propagations sont plus élevés. «Nous risquons de nous retrouver avec le même problème qu'au Mexique», a déclaré le Dr Barker la semaine dernière.

Comment un pays moderne et riche comme le Canada peut-il fermer les yeux sur une telle situation? Lorsqu'un tremblement de terre ou un tsunami frappe une région du globe, nous sommes toujours parmi les premiers à envoyer des avions Hercules pleins de vivres et de matériel, du personnel militaire même, pour venir en aide aux sinistrés. Voilà qui est très bien, mais que fait-on des nôtres, autochtones du Nord, des grandes villes ou des réserves, qui moisissent dans la misère?

La réponse courte, c'est que l'on s'en fout.

Théoriquement, la question autochtone est toujours une priorité pour tous les partis politiques. En réalité, ils ont toujours plus urgent (et, surtout, plus payant électoralement) à régler.

La réponse longue, et tellement canadienne, c'est que les autochtones sont pris dans des chicanes de compétences absurdes: les soins de santé pour les autochtones sont de compétence fédérale, l'envoi de personnel médical, relève du provincial. Ensuite, il faut aussi déterminer qui paye quoi.

Le cas particulier de la propagation de la grippe A (H1N1) n'est pas qu'anecdotique. Il est l'illustration absurde de l'échec de nos politiques autochtones. Et l'illustration parfaite du manque de volonté politique en la matière.

Encore aujourd'hui, des milliers d'autochtones vivent dans des conditions pitoyables, sans eau courante ni services de santé dignes de ce nom, dans des taudis et, surtout, dans l'indifférence générale.

Au Québec, les communautés autochtones ne semblent pas (selon les statistiques du ministère de la Santé) particulièrement touchées par la grippe A (H1N1), mais d'autres problèmes perdurent ici aussi.

Pensez seulement au cri de désespoir lancé dans nos pages il y a 10 jours par les intervenants sociaux engagés auprès des enfants du Nunavik.