Qu'est-ce qu'un père? A-t-on besoin d'un père? Si oui, comment être père aujourd'hui? Et, au fait, comment ça fonctionne, un père?

Avant de qualifier toutes ces questions de saugrenues, il faut savoir qu'il s'agit des titres de quatre ouvrages fort sérieux publiés récemment. La littérature sur la paternité et sur les pères a fleuri au cours des dernières années, de la savante étude historique ou sociologique jusqu'au guide pratique, style La Paternité pour les nuls.

Cette logorrhée peut s'expliquer, au choix, par le regain d'intérêt pour une fonction mâle qui aurait été injustement ignorée dans le passé; ou alors par la quête presque frénétique d'un modèle de paternité qui ne serait pas encore tout à fait au point.

Les deux propositions sont exactes.

Mais, à une époque où un homme est enceint (!) de son deuxième bébé aux États-Unis, la seconde hypothèse semble la plus pertinente...

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Le modèle de père actuellement le plus vendeur est, comme on le sait, celui du "père-poule".

Il s'agit de cet homme qui materne (le verbe paterner n'existe pas officiellement) sa progéniture avec autant, sinon plus d'ardeur que la mère. Ce phénomène est difficile à illustrer par des statistiques, mais il en existe quelques-unes, irréfutables.

Entre 1995 et 2003, le nombre de divorces ayant conduit à une garde partagée a presque triplé, s'établissant à 29%. Entre 1995 et 2006, la proportion des pères se prévalant d'un congé parental est passée de 4 à 69%, l'incitation étatique aidant.

Or, le "père-poule" n'est pas une invention nouvelle. On a en effet établi que, chez quelques espèces de dinosaures, ce sont les mâles qui couvaient les oeufs. Rien à voir avec l'émergence d'un dinosaure "rose": d'un point de vue biologique, c'était tout simplement plus efficace pour la survie de la couvée.

L'affaire n'est pas qu'anecdotique. À travers les âges, les modèles de paternité ont été extraordinairement divers, reflétant à la fois les nécessités sociales, les cadres religieux ou politiques; même les effets de mode, qui sait?

Dans la Rome antique, les pères avaient littéralement droit de vie ou de mort sur leur progéniture. Au XVIIIe siècle, l'instruction publique obligatoire, née de la Révolution française, est le premier coup porté au patriarcat, jusqu'alors dépositaire de l'information à transmettre. Au XXe siècle, les deux guerres mondiales forgent des sociétés sans pères: ils sont partis, souvent morts, au combat. Le "père-poule" contemporain est, au moins en partie, le fruit de l'accouplement entre la vague égalitariste et la nécessité économique.

Tout cela suggère que, hors l'acte créateur, la paternité est malléable à souhait.

Un homme peut voir la chose comme un effrayant dilemme: que faire, en effet, s'il n'y a pas de mode d'emploi? Ou alors comme une opportunité, celle de trouver par soi-même le type de paternité qui sera le plus efficace pour la survie de sa propre couvée.

Comme l'a fait le dinosaure "rose", finalement.