Quand il est venu se promener autour du ring au combat Pascal-Diaconu, vendredi soir, George Gillett affichait la mine satisfaite de l'homme qui sait qu'il va gagner le gros lot. On comprend maintenant pourquoi.

Cinq cent millions de dollars, ce n'est pas rien. Surtout quand on se souvient que Gillett a payé moitié moins, il y a huit ans, pour mettre la main sur le joyau du patrimoine sportif québécois, son amphithéâtre et la division spectacles de Molson.

Cette plus-value remarquable est à la mesure du rétablissement spectaculaire opéré par le Canadien et ses compagnies soeurs sous la houlette de la famille Gillett. L'équipe tristounette dont presque personne ne voulait quand l'homme d'affaires du Colorado en a fait l'acquisition avec l'aide de la Caisse de dépôt et placement du Québec est devenue au fil des ans une véritable planche à billets.

La remontée du dollar canadien y a été pour quelque chose. Le principal poste de dépenses du Canadien, le salaire des joueurs, est en dollars américains, alors que les revenus - billetterie, commandites, droits de télé, produits dérivés - sont presque tous en dollars canadiens. C'est une évidence: le Canadien, comme les cinq autres équipes canadiennes, se porte mieux quand le huard plane autour de 90¢ US que lorsque qu'il fait du rase-mottes à 60¢, comme c'était le cas à l'époque où Gillett est arrivé à Montréal.

Mais le succès financier du club, qui aurait généré des profits de 45 millions en 2007-2008, est surtout attribuable au travail colossal de l'équipe de direction du Canadien. Grâce entre autres à un lucratif contrat avec le Réseau des Sports, le club est devenu omniprésent dans le paysage médiatique. Les matchs du Canadien sont disputés à guichets fermés depuis 2005 et la liste d'attente pour les abonnements de saison compte des milliers de noms. Les initiatives de marketing - retraits des chandails des grands joueurs de l'histoire du Tricolore, soirées rétro, présentations d'avant-match jazzées, etc. - se sont multipliées à un rythme fou.

Au travers de tout ça, on a réussi à rajeunir le public de l'équipe et à rendre le Canadien désirable pour une génération qui a pourtant peu ou pas connu les heures de gloire de ce club centenaire. La 24e et dernière conquête de la Coupe Stanley, faut-il le rappeler, remonte à 1993. Seize ans, c'est long.

C'est d'ailleurs là le principal reproche qu'on peut adresser à George Gillett au moment où son règne s'achève. Même si son engagement envers le club ne s'est jamais démenti, le remarquable succès financier du Canadien, qui se situe année après année parmi les trois clubs les plus lucratifs de la LNH, a eu très peu d'échos sur la patinoire.

Le bilan comptable est étincelant, mais le palmarès sportif est bien peu étoffé, malgré l'embauche, il y six ans déjà, de Bob Gainey à titre de directeur général. Un des rares faits saillants aura été la première place dans l'Association de l'Est, en 2007-2008. Mais en sept saisons, l'équipe n'a remporté que trois séries éliminatoires, sans jamais parvenir à franchir le second tour. Même dans une ligue à 30 équipes où règne la parité, ce n'est pas assez. Pas à Montréal, en tout cas.

Le défi des Molson est de redonner enfin aux partisans du Canadien une équipe dont ils puissent être fiers autrement que par réflexe conditionné par le marketing, une équipe capable d'éviter la répétition des déboires de la saison qui vient de s'achever: congédiement de l'entraîneur, manchettes tapageuses sur les fréquentations de certains joueurs et élimination en quatre coups de cuiller à pot par les Bruins en première ronde des séries.

Il faudra que les Molson trouvent le moyen de refaire du Canadien de Montréal une équipe gagnante, à la hauteur de la belle histoire de son premier siècle d'existence, qu'on nous a servie à toutes les sauces depuis un an. Une équipe qui fait plus d'efforts pour recruter des joueurs québécois, aussi. Et une équipe qui rêve vraiment à la Coupe Stanley, au lieu d'être satisfaite de se qualifier pour les séries.

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Il va se passer beaucoup de choses au cours des 10 prochains jours. Le repêchage amateur aura lieu vendredi à Montréal et pourrait être le théâtre de transactions majeures - y compris, rêvons un peu, l'échange qui amènerait finalement Vincent Lecavalier à Montréal. Le CH aura aussi l'occasion de frapper un grand coup le 1er juillet, date à laquelle les joueurs admissibles obtiennent leur autonomie.

Pour le Canadien, l'avenir commence maintenant. Avant que la vente de l'équipe ne soit finalisée et avant, donc, que les Molson ne prennent les commandes, comme l'a rappelé avec insistance leur porte-parole, hier. Façon de se dédouaner au cas où les choses ne tournent pas comme la direction du CH l'espère? Je l'ignore. Mais il me semble que si j'avais en poche une entente de principe pour une transaction de plus d'un demi-milliard, j'aurais l'impression d'avoir gagné le droit d'être consulté sur les prochains gestes que fera l'équipe.