La consommation s'étiole aux États-Unis, alors que l'épargne croît. Un terreau peu fertile à une reprise rapide de l'économie.

Wall Street dit rose, mais l'Américain moyen dit noir.

Si les investisseurs sont prêts à miser gros sur un redressement rapide de l'économie américaine, le consommateur moyen, lui, garde ses mains enfoncées dans ses poches, indique un examen approfondi du dernier bilan du commerce de détail aux États-Unis.

Jeudi dernier, on a appris que les ventes des commerçants avaient grimpé de 0,5% en mai. Une bonne nouvelle à première vue, mais ce gain est surtout dû aux ventes d'automobiles et d'essence. Hormis le secteur de l'auto, le marché est resté quasi stagnant.

Qui plus est, les Américains dépensent beaucoup moins qu'avant. En fait, leurs achats sont d'environ 10% inférieurs à ce qu'ils étaient à la fin 2007.

Parallèlement, l'épargne chez nos voisins du Sud grimpe sans cesse. Elle a atteint un taux de 5,7% du revenu disponible en avril, un sommet en 14 ans.

Or, l'économiste David A. Rosenberg, de la firme Gluskin Sheff, de Toronto, et ex-stratège chez Merrill Lynch, lance cet avertissement: le consommateur américain, qui nous a habitués aux pires excès pendant des années, s'est mis au régime sec.

Selon cet expert, le taux d'épargne continuera à grimper pour éventuellement dépasser le record de 14,5% établi en 1975, au sortir d'une récession sévère provoquée par le choc pétrolier de 1973.

Chômage

La nouvelle frugalité américaine n'est pas le fruit d'un soudain changement de valeurs, mais de deux contraintes biens réelles: l'endettement et le chômage.

Selon un sondage Bloomberg auprès de 62 économistes, le taux de chômage devrait atteindre le seuil des 10% à la fin 2009 (contre 9,4% en mai).

Moins d'emplois, et en plus une baisse des prix des maisons, le crédit moins abondant, des caisses de retraite dégarnies... autant de facteurs qui coupent l'appétit des Américains.

Aussi la consommation - qui génère 70% de l'activité économique aux États-Unis - pourrait se contracter de 0,7% en 2009, la pire performance depuis 1974, prédisent les experts.

Dettes

De plus, un examen du bilan des ménages américains confirme que la crise financière a laissé des marques profondes. La richesse collective a fondu de 1300 milliards US au premier trimestre 2009, a révélé jeudi la Réserve fédérale.

Et les Américains demeurent lourdement endettés. Leurs dettes représentent près de 130% de leur revenu disponible, à peine moins qu'il y a un an. Il faudra donc du temps avant de revenir à un ratio plus raisonnable de 100%, comme à l'automne 2001.

Entre-temps, la confiance des Américains s'améliore, a-t-on appris vendredi. C'est une bonne nouvelle, qui nourrit l'optimisme à la Bourse depuis une certain temps. Mais cette bonne humeur tarde à faire résonner les caisses enregistreuses des détaillants.

Ainsi, les ventes des chaînes de magasins ont encore baissé en mai, avec une chute de 4,6% sur un an, à magasins comparables, affirme le Conseil international des centres commerciaux (ICSC). Ce chiffre est très en deçà des prévisions, qui tablaient sur une légère croissance.

Certes, les ventes de voitures sont meilleures, gracieuseté des rabais des fabricants. Une autre bonne nouvelle. Mais le marché du vêtement, de la nourriture et des autres biens non durables rétrécit toujours.

Bref, on achète l'essentiel, mais on sacrifie la qualité. Fini le chocolat Godiva, place au Hershey's. Trop cher, le Starbuck's, on se contente d'un café chez McDo... etc. Un comportement défensif que des experts britanniques appellent le «Syndrome Smarties».

Signe des temps: le fabricant de chocolat fin Lindt&Sprungli vient d'annoncer qu'il fermera 50 de ses 80 magasins aux États-Unis. On peut aussi rappeler que Wal-Mart et McDonald's sont les deux seuls titres de l'indice Dow Jones à avoir inscrit des gains en 2008.

V, U ou L

Le nouveau consommateur américain, plus prudent et plus économe, semble aussi déterminé. Une enquête de Boston Consulting Group révèle que près des trois quarts des Américains prévoient réduire leurs dépenses cette année. Si tel est le cas, l'impact sera considérable.

Pendant ce temps, les économistes continuent de débattre de la durée de la crise: longue (en «U» ou en «L») ou courte (en «V»)? Des indicateurs contradictoires appuient les deux thèses pour l'instant.

On y verra plus clair à la rentrée scolaire, à la fin de l'été. C'est la deuxième période en importance dans le commerce de détail, après celle de Noël. Et c'est à ce moment que certains ont fixé le début de la reprise.