Les pugilats, attendus par certains avec délectation, auxquels Louise Harel aura à se livrer avec la langue anglaise dans sa course à la mairie de Montréal illustrent encore une fois une situation connue. Elle concerne notre vieux contentieux national avec l'anglais. Avec la langue du colonisateur. La langue de l'empire, l'ancien et le nouveau. La langue du capital et de la mondialisation.

Visiblement, nous sommes toujours fâchés avec l'anglais.

Il ne s'agit pas ici de soupeser la possibilité qu'il y a à être maire de Montréal lorsqu'on est unilingue francophone. Pourquoi pas, en effet? Difficile, sans doute. Mais en pratique faisable à la condition d'être bien entouré, surtout en déplacement à l'étranger - dans l'ouest de l'île, par exemple.

La question est plus large, plus essentielle pour tous, plus vitale pour chacun.

Au Québec, à cause de notre passé conflictuel en cette matière, nous ne voyons les questions linguistiques que sous deux angles, démographique et politique, accessoirement accompagnés d'un troisième, l'utilitaire. De sorte que ce qui fait la réelle puissance d'une langue semble nous échapper.

Rejeter l'anglais - de toutes les façons possibles, ouvertement ou insidieusement, tout en demeurant à peu près à l'intérieur des limites de la décence - apparaît aux Québécois comme un geste politique noble, dicté par un souci démographique incontournable.

Sauf erreur, aucune autre nation au monde n'entretient une relation aussi schizophrénique avec l'anglais.

Cette attitude est paradoxale. Car le français exerce encore aujourd'hui dans le monde un pouvoir intellectuel - presque moral - sans commune mesure avec sa réalité démographique, politique ou utilitaire. Surtout au sein des élites de nombreux pays, cela se traduit par une force d'attraction du français qui n'est due qu'au génie de cette langue, à sa puissance intrinsèque.

De la même façon, la force de l'anglais ne réside pas d'abord dans le nombre: le mandarin serait alors dominant. Ni dans sa relation avec les pouvoirs. Ni même dans son utilité, pourtant très grande. Mais plutôt dans l'histoire, le savoir, la culture, les valeurs, que l'anglais véhicule.

Peut-on, sans fréquenter l'anglais, vivre aujourd'hui sur notre planète en y étant convenablement informé? Suffisamment connecté à la culture contemporaine, au sens large? Assez au fait de ce qui se dit, s'écrit et surtout se pense à la fine pointe de presque tous les domaines, bassement pratiques ou hautement songés, dans lesquels l'intelligence humaine s'exerce? Raisonnablement à l'aise avec les codes de civilisation que construit le génie d'une langue au fil des siècles, l'anglais ayant - que ça plaise ou non - distribué les siens à la démesure de sa zone d'influence?

Certes, tout ça a de l'importance ou n'en a pas, au choix du client.

Mais on ne peut s'empêcher de constater que, ne fut-ce que pour être un authentique anti-impérialiste, anticapitaliste et antimondialiste, il faut être capable de lire Noam Chomsky dans le texte: c'est la seule façon de comprendre toutes les subtilités du discours de ce linguiste américain réputé être l'intellectuel le plus cité dans le monde.