Aux yeux des électeurs, il y a des scrutins qui comptent, et d'autres moins. Passion ou indifférence: le fossé était net et profond, hier, entre les élections parlementaires tenues, d'une part, dans le plus grand ensemble économique du monde, l'Union européenne; et d'autre part dans un tout petit pays, le Liban, déchiré entre ses allégeances à l'Est et à l'Ouest, littéralement occupé à assurer sa survie.

Même chez les Européens, si on se fie à l'image-miroir donnée par les médias d'outre-Atlantique au quatrième jour du scrutin continental, les regards étaient davantage tournés vers les Libanais. Ceux-ci sont d'ailleurs allés aux urnes en nombre record: 20% de votants de plus qu'en 2005 (les résultats seront connus aujourd'hui).

 

Par opposition, les 736 députés élus au Parlement de Strasbourg auront une légitimité limitée par le je-m'en-foutisme généralisé sévissant chez les électeurs des 27 pays de l'union. Le taux de participation aux élections européennes n'a en effet cessé de dégringoler depuis 1979, passant de 63% il y a 30 ans à un maigre 43% en 2009. En France, on a tout juste atteint les 40%. Dans certains pays comme la Pologne (où, pourtant, on est plutôt europhile), il est inférieur à 30%.

Au surplus, la droite, celle de Nicolas Sarkozy en France, d'Angela Merkel en Allemagne ou de Silvio Berlusconi en Italie, a remporté la victoire. Or, l'électeur type de droite (à distinguer des porte-parole officiels) est plutôt méfiant vis-à-vis de la «continentalisation» de la politique européenne.

Pire encore, des Pays-Bas à l'Autriche en passant par l'Italie, la Hongrie et la Roumanie, l'extrême droite, souvent ultranationaliste et hostile au... beau risque de l'«ouverture» à la mode de Bruxelles et de Strasbourg, a sensiblement progressé.

Les verts ont également gagné du terrain, peut-être aidés par la retentissante diffusion dans 134 pays du film écologiste Home (vu par 8,3 millions de personnes en France seulement) du cinéaste Yann Arthus-Bertrand! C'est peut-être bien, mais ça a peu à voir avec le défi politique du continent...

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Tout ça n'est pas anecdotique.

Le «modèle» européen, première expérience du genre dans l'Histoire, tortueux compromis entre fédéralisme et supranationalisme, affligé de structures labyrinthiques et d'une bureaucratie kafkaïenne, souffre de défauts de conception majeurs.

En clair, les citoyens ne voient pas très bien ce que l'Europe politique leur apporte dans la vie de tous les jours... sauf les tracas générés par une réglementation pléthorique. Ils ne comprennent pas un processus décisionnel écartelé entre une douzaine de conseils, commissions et autres comités, parmi lesquels le Parlement n'est qu'un rouage à la vocation nébuleuse. Ils ne distinguent pas d'enjeux proprement européens qui les pousseraient vers l'isoloir, de sorte que ceux qui votent le font pour régler des comptes locaux ou nationaux...

Au total, c'est d'une sorte de crise d'identité qu'il s'agit. La crise d'une identité qui n'existe pas encore.

mroy@lapresse.ca