Quelques heures après l'adresse au monde musulman qu'a livrée Barack Obama, au Caire, la chaîne CNN a tenté d'obtenir des commentaires de femmes afghanes. Impossible. L'une a chuchoté que son petit-fils, qui se trouvait avec elle, ne l'autorisait pas à parler. Surtout, la plupart des Afghans (et des Afghanes) n'ont pas accès à la télévision, ni même à l'électricité. Ils ne savent rien du périple égyptien du président des États-Unis.

La réalité, dans son aspect le plus désespérant, est celle-là.

Aussi, comment un simple discours, fût-il extraordinairement brillant et inspiré, pourrait-il être autre chose qu'une crème cosmétique appliquée sur des situations de fait qui semblent éternelles?

 

Car le statut de la femme ou la grande pauvreté en Afghanistan n'en sont que des échantillons. Des situations autant ou plus alarmantes sont légion.

Celle du lourd déficit démocratique des pays arabes, par exemple. Ou celle, dénoncée par les intellectuels arabes eux-mêmes, de leur rejet auto-infligé de la modernité. Celle de la monstrueuse inhumanité des fous d'Allah. Ou celle de la tragique dérive américaine des années Bush: l'Irak, Abou Ghraib, Guantanamo, la torture, le braquage idéologique. Celle, enfin et surtout, du conflit insoluble qui, entre la Méditerranée et le Jourdain, divise deux peuples cousins et empoisonne la planète entière depuis un demi-siècle...

Barack Obama a évidemment vu ce gouffre séparant la parole du réel.

Il l'a identifié dès le départ, à la quatrième minute d'une allocution qui en a duré 55: «On a déjà, à l'avance, beaucoup parlé de ce discours. Mais je suis conscient qu'à lui seul, il ne pourra effacer des années d'antagonisme.»

Partout dans le monde, cette adresse du président américain a été accueillie de façon positive. Hormis chez les extrémistes de tous bords, platement prévisibles, la critique a surtout consisté à dire: ce sont de belles paroles, mais il faut maintenant des actes.

C'est vrai.

Mais, si l'on veut vraiment jouer à la «minute de vérité» (puisque Obama a placé son allocution sous le signe du parler vrai), il faudra se rendre compte qu'on surévalue le pouvoir immédiat de l'Amérique en même temps qu'on sous-évalue la puissance à long terme de la parole.

Par exemple, le pouvoir de coercition de Washington à l'endroit d'Israël est beaucoup plus limité qu'on le croit. Et, d'autre part, ce serait nier le pouvoir des idées que de prétendre que le président américain n'a livré, hier, que du vent. «Oblitérer des idées n'a jamais réussi à les faire disparaître», a-t-il d'ailleurs remarqué.

Ultimement, le message de Barack Obama, destiné à initier un «nouveau début» entre diverses obédiences, pourrait se résumer en une idée, justement. Par delà les divisions ethniques ou religieuses, a-t-il dit, «ce qui existe dans le coeur des foules à travers le monde, c'est la foi en l'être humain».

De fait, c'est dans cette foi que réside la seule planche de salut.

mroy@lapresse.ca