Le mythe de l'American Dream, le rêve américain, est à ce point rebattu qu'il est devenu un objet de moquerie, en général utilisé pour discréditer l'optimisme congénital sévissant chez nos voisins d'en dessous... Aussi, lorsque le mythe se vérifie dans la réalité, on en demeure saisi de surprise et d'admiration. L'ascension fulgurante de Barack Obama jusqu'à la plus importante fonction de la plus grande puissance planétaire a eu exactement cet effet-là.

Or, le sentiment est un peu le même vis-à-vis la juge Sonia Sotomayor, que le président vient de nommer à la Cour suprême des États-Unis.

 

La femme de 54 ans a été élevée dans le South Bronx (l'un des quartiers les plus pauvres de New York) par un couple d'immigrés portoricains logés dans un HLM. Son père, un col bleu, est décédé alors qu'elle avait 9 ans. Sa mère, infirmière, a dû travailler six jours par semaine pour offrir à sa fille des études supérieures. La maisonnée n'en possédait pas moins la seule encyclopédie de tout le voisinage, payée au prix fort par une femme dont la fille devenue juge dit aujourd'hui: «Je ne suis pas la moitié de ce qu'a été ma mère»...

C'est admirable. Car, ni aux États-Unis ni ailleurs, les classes sociales ne sont vraiment disparues: n'être pas né au bon endroit, dans une bonne famille de la bonne société, handicape en général à vie le brave prolétaire. Sonia Sotomayor a brillamment surmonté cet obstacle-là.

Cela dit, la nomination de la nouvelle juge de la Cour suprême ne prendra effet qu'après un barrage serré, en comité sénatorial, des forces conservatrices qui voient en elle une liberal activist - une «juge rouge», dirait-on en France.

Cependant, à moins d'un gigantesque squelette dans son placard, ce barrage ne tiendra pas. Parce que, un, le Sénat est à majorité démocrate. Deux, Sotomayor remplace le juge David H. Souter qui n'était pas non plus un conservateur, de sorte que la configuration du tribunal s'en trouve peu modifiée. Trois, les républicains, déjà affaiblis, ne pourront s'acharner sur une femme hispanophone que jusqu'à un certain point...

Pourtant, des questions légitimes peuvent être posées sur la façon dont Sotomayor voit le rôle du droit et de la justice.

Une de ses décisions alors qu'elle siégeait en Cour d'appel, portant sur une affaire de discrimination positive chez les pompiers de New Haven, n'est pas aussi limpide qu'on le souhaiterait (les «Blancs» ont été défaits et la cause est devant la Cour suprême). Et on ne peut s'empêcher de demeurer perplexe devant sa déclaration voulant qu'«une femme hispanophone riche de ses expériences arrivera la plupart du temps à de meilleures décisions qu'un homme blanc qui n'a pas vécu la même vie». La formulation est vraiment malheureuse, même si on comprend l'intention.

Au total, néanmoins, la nomination de Sonia Sotomayor à la Cour suprême des États-Unis apparaît judicieuse. D'autant qu'elle y apprendra vite la prudence et la retenue imposées par la fonction.

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