Tiré à quatre épingles dans son complet charbon, Henri-Paul Rousseau s'est présenté au Salon rouge 20 minutes avant que ne commencent les audiences de la commission des finances publiques.

Assis seul avec son air le plus grave, l'ancien président de la Caisse de dépôt et placement du Québec aurait pu être pressé d'en finir. Après tout, c'était sa dernière journée dans la mire des caméras de télé avant qu'il ne se cloître dans les bureaux de la discrète Power Corporation (propriétaire de La Presse).

Mais à l'évidence, l'homme de 60 ans espérait infléchir le jugement de l'Histoire, lui qui a volontairement prêté serment avant de livrer des réponses-fleuves pendant six heures. L'«erreur» du papier commercial hante Henri-Paul Rousseau. «J'y pense à tous les jours», a-t-il confié.

Alors que les députés enfilaient les questions polies et pointues, Amir Khadir a toutefois rappelé au dirigeant, un de ces «monarques qui se croient au-dessus de tout», qu'il ne se trouvait pas devant l'auditoire docile de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

«Votre arrogance et votre mépris cachent une certaine lâcheté: vous avez préféré démissionner», a lâché le député de Mercier avant d'être rappelé à l'ordre par le président de la commission.

Blême, Henri-Paul Rousseau a évoqué les sacrifices qu'il a consentis pour servir l'intérêt public du Québec, en se contentant d'une rémunération moindre à la Caisse et en liquidant la totalité de ses placements à l'été 2002, au creux du marché, sans aucune planification fiscale (!), pour être au-dessus de tout soupçon. Voilà pourquoi il refuse - toujours - de renoncer à sa prime de départ controversée, que Québec a inscrite à son contrat d'embauche sans qu'il ne la réclame.

Deux univers irréconciliables.

La Caisse de dépôt ne pouvait faire meilleure publicité au livre du journaliste Mario Pelletier en envoyant une mise en demeure à son éditeur pour qu'il retire La Caisse dans tous ses états des étagères des libraires. D'ailleurs, les journalistes s'échangeaient hier les rares copies de ce livre tel un ouvrage à l'index sous Duplessis.

Si la Caisse a jugé nécessaire de prendre cette mesure extraordinaire, c'est que ce livre accuse Henri-Paul Rousseau d'avoir eu recours à la technique dite du «bain de sang». On met les choses au pire en arrivant, en radiant un maximum de mauvais investissements. Puis, les choses s'embellissent et la nouvelle administration prend tout le crédit. Disons simplement que ce n'est pas inédit en affaires.

Henri-Paul Rousseau a néanmoins été piqué au vif. Dès son arrivée, hier, il a insisté pour tirer les choses au clair en lisant une déclaration et en martelant la table de son index. Le gros des radiations dans Quebecor Media (2 milliards de dollars) a été pris à l'époque de son prédécesseur, Jean-Claude Scraire. Henri-Paul Rousseau n'a radié que 523 millions de plus. L'ex-dirigeant a qualifié de «très graves» ces accusations, puisqu'elles remettent en question son intégrité et sa réputation, de même que celles du Vérificateur général du Québec.

Personne ne doute de la probité d'Henri-Paul Rousseau. On est même prêt à lui donner le bénéfice du doute quand il affirme avoir quitté la Caisse à un moment où, pensait-il, «le ciel s'éclaircissait».

Mais là où on ne le suit plus, c'est lorsqu'il égrène un chapelet d'explications pour justifier la contre-performance de la Caisse en 2008. Rappelons que la Caisse a perdu 39,8 milliards de dollars l'an dernier. Ce rendement négatif de 25% est de 6,6% inférieur aux indices auxquels la Caisse se compare, un gouffre chez les gestionnaires de fonds.

Le papier commercial aurait été la seule réelle faute de la Caisse; en scrutant chacun des arbres, l'institution n'a pas vu la taille de la forêt. Pour le reste, blâmez les méthodes comptables qui ne s'appliquent qu'à la Caisse. Ou encore la vieille politique de couverture du taux de change, pour protéger ses investissements immobiliers contre les fluctuations adverses des devises.

Ainsi, Henri-Paul Rousseau a cherché à banaliser cet accident de parcours. «Vous allez en bicyclette, vous tournez la tête et vous foncez dans un camion», a-t-il illustré.

Henri-Paul Rousseau se défend d'avoir institué une culture qui incitait les gestionnaires à risquer trop. Il affirme qu'il a même réduit le seuil de versement de la prime au rendement des gestionnaires de portefeuille du marché monétaire (de 30 à 25 points centésimaux) pour éviter toute course à la performance. «C'est complètement faux de dire que la politique de rémunération est à la source de tout», a-t-il dit.

Il n'empêche que la façon la plus simple pour un gestionnaire de toucher une prime, c'était encore d'investir dans les papiers commerciaux. Ces investissements à court terme rapportaient un tout petit peu plus que les obligations des gouvernements, tout en étant sensiblement plus risqués.

Henri-Paul Rousseau a aussi passé sous silence les pertes importantes enregistrées par des cowboys de la finance qui pariaient sur les taux d'intérêt et les indices boursiers. Cette spéculation explique les trois quarts des pertes dans les activités dites de répartition de l'actif, de 2 milliards de dollars au total. Et ici, il ne s'agit pas de pertes sur papier. C'est de l'argent que les Québécois ne reverront plus.

Alors que cette commission parlementaire tire à sa fin, le Québec ne comprend toujours pas pourquoi la Caisse s'est gavée de papier commercial jusqu'à la toute fin. Même après que la firme Coventree, son grand «pusher», eut prévenu la Caisse que ses papiers commerciaux étaient contaminés par les hypothèques américaines à haut risque! Devant les «signaux contradictoires», les gestionnaires de la Caisse se trouvaient dans la «confusion totale», a justifié l'ancien dirigeant.

Henri-Paul Rousseau a répété 100 fois qu'il ne fallait pas désespérer. Plus de la moitié des pertes de 2008 (22,4 milliards) sont sur papier. C'est à peu près comme dire à ceux qui ont acheté des actions de Bombardier à 20$ que le titre finira bien par remonter!

Ainsi, sur les radiations de 5,9 milliards associées au papier commercial, seulement 181 millions de dollars sont disparus à jamais.

Ironique non, qu'Henri-Paul Rousseau demande aux Québécois d'être patients avec le papier commercial, patience qu'il n'a jamais manifestée à l'endroit de Quebecor Media ? Je me demande bien envers qui, de Rousseau ou de Scraire, l'histoire sera la plus sévère.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca