On parle beaucoup de la campagne de «publicité négative» lancée cette semaine par le Parti conservateur contre Michael Ignatieff. Il s'agit en effet de publicité négative, mais pas au sens péjoratif du terme. Ces annonces ne se moquent pas du physique de l'homme. Elles ne contiennent pas de faussetés grossières ou d'insinuations malhonnêtes. Évidemment, on s'en prend à Michael Ignatieff, à son absence du pays pendant 34 ans et aux opinions controversées qu'il a émises au cours de sa carrière d'essayiste. La tactique n'a rien d'original; c'est de la politique partisane telle qu'on la pratique depuis des lunes, avec une dose de démagogie comparable à celle qu'emploient les autres formations.

Les publicités télévisées et web mettent en évidence des aspects pertinents, parfois troublants du cheminement de M. Ignatieff. Évidemment, comme le soulignait hier notre collègue Vincent Marissal, le fait que le chef libéral trempe «délicatement une gaufrette au chocolat» dans son espresso n'a rien à voir avec ses talents de leader. Reste que M. Ignatieff a en effet un côté élitiste qui agace parfois. Il en a donné la preuve mercredi quand, interrogé au sujet de la campagne conservatrice, il a laissé tomber (de haut): «J'ai écrit plus de bouquins que les conservateurs n'en ont lus.»

Il est indéniable, aussi, que M. Ignatieff «est revenu au Canada pour une seule raison: devenir notre premier ministre». Incontestable qu'à la télévision américaine il y a à peine cinq ans, il parlait des États-Unis comme de «mon» pays. Le contenu et le ton de ses ouvrages confirment, enfin, que le chef libéral n'est pas allergique au narcissisme.

En somme, les cibles visées par la campagne conservatrice sont légitimes.

Les tories marchent sur un terrain beaucoup plus glissant lorsqu'ils épluchent les déclarations passées du leader libéral. Il est vrai que celui-ci n'a pas toujours été ouvert au nationalisme québécois, vrai qu'à l'automne il avait endossé la coalition PLC-NPD-Bloc, vrai qu'il a tenu des propos ambigus sur la torture, etc. Cependant, si on se livrait au même exercice au sujet de Stephen Harper, on constaterait qu'il a lui aussi été hostile aux nationalistes du Québec, qu'il était contre Meech et Charlottetown, contre le bilinguisme officiel, contre la loi 101, etc. Ce n'est qu'en désespoir de cause que le chef conservateur s'est converti au «fédéralisme d'ouverture» et a reconnu le Québec comme nation. En somme, sur le plan des virages à 180 degrés, M. Ignatieff n'a rien à envier au premier ministre.

Malheureusement pour les conservateurs, le prochain scrutin ne portera pas sur ce que les chefs mettent dans leur espresso (ou leur Tim Hortons). C'est le bilan peu reluisant du gouvernement Harper qui sera au coeur des débats. Et puis les partis politiques devront dire aux Canadiens ce qu'ils comptent faire au cours des prochaines années. À cet égard, il est vrai que les intentions de Michael Ignatieff sont infiniment vagues. On peut toutefois en dire autant de celles des conservateurs, eux qui gouvernent depuis l'hiver à contre-courant de leurs propres convictions.