La Formule 1 se retrouve une fois de plus au coeur d'une des parties de poker dont ses grands bonzes ont le secret. La question est de savoir quel bluffeur l'emportera cette fois-ci.

Ferrari a lancé une bombe en menaçant plus tôt cette semaine de quitter la F1 si la Fédération internationale de l'automobile (FIA) ne revient pas sur sa décision d'imposer dès l'an prochain un plafond budgétaire qui pourrait consacrer l'émergence d'une «F1 à deux vitesses».

La menace frappe d'autant plus l'imagination qu'elle n'est pas isolée: les dirigeants de Toyota et le propriétaire de Red Bull et Toro Rosso, Dieter Mateschitz, avaient déjà exprimé des intentions similaires au cours du week-end. Et voilà que Renault s'est joint au groupe des protestataires, hier.

«Si les décisions annoncées par le Conseil mondial de la FIA le 29 avril dernier ne sont pas revues, nous n'aurons pas d'autre choix que de nous retirer du championnat du monde à la fin de l'année 2009», a expliqué le directeur de l'écurie, Flavio Briatore, par voie de communiqué.

Les décisions dont parle Briatore se résument à ceci: à compter de l'an prochain, les équipes de F1 qui refuseront de se soumettre à un plafond de dépenses d'environ 70 millionsde dollars (excluant notamment le marketing et les salaires des pilotes) seront libres de participer au championnat, mais devront composer avec des contraintes techniques qui pourraient leur coûter jusqu'à trois secondes par tour.

À sa face même, cette politique de deux poids, deux mesures apparaît contraire à l'esprit de compétition censé gouverner le sport. En fin stratège qu'il est, le président de la FIA, Max Mosley, a de toute évidence estimé que les écuries, prêtes à tout pour éviter un tel scénario, rentreraient docilement dans le rang. Et qu'elles accepteraient de ramener leurs dépenses à un niveau qui éviterait le départ d'autres manufacturiers (après celui de Honda l'hiver dernier) et rendrait la F1 accessible à de nouveaux acteurs plus modestes.

Des objectifs louables

Dans le difficile contexte économique actuel, les objectifs de Mosley sont louables: la F1 doit impérativement réduire ses coûts. Il n'est d'ailleurs pas exclu qu'il finisse par gagner son pari. L'histoire de la F1 est remplie de ces duels au sommet, où Mosley, de concert avec son pote Bernie Ecclestone, finit par imposer ses vues aux équipes en semant la division entre elles.

Cette fois-ci, l'union entre les constructeurs, réunis depuis l'an dernier au sein de la Formula One Teams Association (FOTA), semble toutefois solide, d'autant que son président est nul autre que Luca di Montezemolo, le grand patron de Ferrari. La FOTA avait proposé son propre programme de réduction des dépenses, plus modeste et surtout étalé sur quelques saisons.

Sûrement piqué au vif quand il a entendu Mosley affirmer récemment que la F1 pouvait très bien survivre au départ de la Scuderia, Di Montezemolo semble déterminé à tenir son bout. Si Ferrari quitte la F1, «nos automobiles seront engagées dans d'autres compétitions où, j'en suis convaincu, elles continueront de susciter la passion de millions de partisans des quatre coins du monde» a-t-il indiqué dans un communiqué diffusé hier.

Allusion voilée à la création d'un championnat parallèle? C'est possible. Qu'on se souvienne de ce que disait Normand Legault dans une entrevue avec La Presse, à la fin mars: il évoquait un hypothétique «championnat des Grands Prix du monde». «Si tu as Ferrari, BMW, Williams, si tu as Lewis Hamilton, ça ressemble pas mal à la vraie affaire. Ils seraient sans doute libres de faire ça», soulignait l'ancien promoteur du Grand Prix du Canada.

Certains évoquent déjà l'hypothèse que les mécontents de la F1 rachètent le championnat A1GP, qui baigne dans le rouge, mais dispose de contrats avec des circuits tels Mugello, Surfers' Paradise, Zandvoort et Sepang. (De Montréal à Silverstone en passant par Magny-Cours, les circuits disponibles ne manquent d'ailleurs pas...)

Les négociations qui doivent avoir lieu demain à Heathrow entre Mosley, Ecclestone et les équipes devraient nous donner une meilleure idée de la probabilité qu'un tel schisme se concrétise. Mon intuition, c'est qu'il y aura un déblocage de la onzième heure d'ici le 29 mai, date limite pour s'inscrire au championnat 2010. Comme l'a dit Bernie Ecclestone le week-end dernier: «La Formule 1 est Ferrari et Ferrari est la Formule 1.»

Le véritable enjeu

Cela ne signifie pas que le problème de fond sera réglé. Derrière toute la rhétorique actuelle se profile ce qui semble le véritable enjeu du conflit: la gouvernance même du sport.

Le magazine Autosport a bien résumé la position de la FOTA, la semaine dernière. «Les équipes devraient recevoir une plus grande part des revenus. Le sport ne devrait pas appartenir à une société de capital de risque (CVC Capital Partners) qui s'arroge la moitié des profits. Les circuits traditionnels ne devraient pas être écartés du championnat pour des raisons financières. Il ne devrait pas si stupidement coûteux pour les amateurs d'assister à un Grand Prix. La F1 ne devrait pas reposer sur des voitures ou moteurs uniques. Elle devrait être présente en Amérique du Nord. Et elle ne devrait pas aller dans des endroits où personne ne regarde les courses.»

Tant que ces questions fondamentales n'auront pas été réglées, les conflits comme celui qui fait rage présentement continueront de déchirer le petit monde de la F1. Jusqu'à ce qu'un de ces jours Ferrari et ses semblables en aient assez de Max et Bernie. Et décident d'aller voir si le bitume n'est pas plus lisse sur la piste du voisin.