Puisque les Canadiens risquent de se retrouver, encore une fois, en élection avant longtemps, voici une question fondamentale : l'habitude de tremper une gaufrette au chocolat dans son espresso constitue-t-elle une preuve irréfutable de manque de leadership ?

Selon le Parti conservateur, la réponse est oui, ce pourquoi on retrouve une référence aux gaufrettes du chef libéral, sous la rubrique « leadership «, dans la série de publicités mises en ligne hier.

 

À défaut d'élever le niveau intellectuel des débats politiques au Canada, on pourra au moins dire que les conservateurs auront contribué à repousser encore un peu plus loin les limites de la publicité négative.

Aux États-Unis, les républicains s'offusquent du fait que Barack Obama préfère la moutarde de Dijon dans ses hamburgers. Ici, les conservateurs en ont contre les gaufrettes.

La publicité conservatrice sous-entend que Michael Ignatieff est snob et distant parce qu'il aime les gaufrettes. Dans les faits, elle laisse plutôt entendre que les Canadiens sont tellement « colons « qu'ils ne peuvent supporter le moindre raffinement chez leurs politiciens. On appelle cela du nivellement vers le bas.

Pour être efficaces, les publicités négatives doivent répondre à trois critères : être factuelles (appuyées sur des faits réels); pertinentes (les accusations doivent avoir un lien avec la crédibilité ou les capacités du candidat visé); être mesurées (ne pas trop en mettre). À l'évidence, les deux derniers critères ne sont pas ici respectés, à moins que vous pensiez sincèrement que l'envie de gaufrettes rend quelqu'un inapte à gouverner...

Cela dit, cette nouvelle campagne négative n'est pas le fruit du hasard. Elle est le reflet des sondages et focus groups, qui démontrent que les Canadiens connaissent encore peu Michael Ignatieff et que celui-ci dégage une image hautaine.

Les conservateurs cherchent donc à imprégner tout de suite une image de Michael Ignatieff dans l'esprit des électeurs, quitte à en beurrer très épais. L'idée est d'attirer l'attention des électeurs, de provoquer des discussions.

Outre les gaufrettes, les publicités parlent aussi du condo de luxe des Ignatieff à Toronto, de leur maison en Provence, de leur mode de vie quand ils vivaient à l'étranger.

Les républicains ont essayé, sans succès, de faire le même coup à Barack Obama, l'été dernier, en attaquant sa trop grande assurance (ça aussi, faut le faire !). Dans une pub internet désormais célèbre, les républicains avaient même fait une caricature d'Obama en Moïse ouvrant les eaux pour le peuple américain.

La stratégie des publicités négatives avait fonctionné contre Stéphane Dion, mais ce dernier ne jouissait pas d'une aussi forte crédibilité et d'une aussi forte cote de popularité (selon les sondages) que Michael Ignatieff.

Au-delà des détails insignifiants sur les gaufrettes ou sur le condo de M. Ignatieff, les recherchistes conservateurs ont toutefois retrouvé quelques citations à fort potentiel de controverse, sur le Québec et les Québécois, notamment. On note aussi que M. Ignatieff était en faveur de la coalition, en décembre dernier, avant de dire le contraire.

Voilà qui est plus fair-play, mais dans l'état actuel de leur parti au Québec, les conservateurs sont en train de « faire la job « pour le Bloc québécois.

En dépoussiérant les vieilles citations de Michael Ignatieff, Stephen Harper risque par ailleurs de se prendre les pieds dans les siennes, lui qui a déjà milité contre le bilinguisme et contre la société distincte, pour la participation du Canada à la guerre en Irak et qui a déjà qualifié le Canada de « pays socialiste « devant un groupe de droite américain.

Pour le moment, les libéraux n'ont pas l'intention de répliquer aux salves conservatrices. Pas besoin, disent-ils, les conservateurs sont en train de se battre tout seuls.

Les libéraux, en effet, n'ont pas de raison de dépenser de l'argent dans des publicités négatives contre les conservateurs, la commission Oliphant s'en charge à merveille.

Les vieilles histoires d'enveloppes pleines d'argent de Brian Mulroney ternissent le nom du Parti conservateur plus efficacement que n'importe quelle campagne publicitaire. En plus, le témoignage de l'ancien premier ministre est venu rouvrir des plaies douloureuses au sein du Parti conservateur, un peu comme le témoignage de Jean Chrétien devant la commission Gomery avait divisé les troupes libérales. On ne fait pas témoigner un ancien premier ministre devant une commission d'enquête sans causer quelques remous.

Stephen Harper peut espérer que les électeurs fassent une distinction entre le Parti conservateur de l'époque et le Parti conservateur d'aujourd'hui, mais ce qu'il ne pourra éviter, ce sont les effets dévastateurs des critiques de Brian Mulroney dans ses troupes, surtout au Québec.

M. Mulroney a beau être persona non grata pour le premier ministre, il est plus branché et plus influent que ne le sera jamais Stephen Harper au Québec.

Personne ne lui donnera l'absolution pour ses relations passées avec Karlheinz Schreiber, mais quand il critique Stephen Harper, bien des conservateurs du Québec désabusés lui donneront raison.

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