Une chronique comme celle sur les phoques de samedi - je ne m'apprête pas ici à reparler du phoque, mais d'une autre sorte de bibite: le lecteur -, une chronique comme celle de samedi fait sortir le lecteur du bois, pas tant en nombre, d'ailleurs, qu'en genre. Pour le nombre, une petite centaine, ce qui, vu le sujet est plutôt moyen, disons même moyen-moins. Mais pour ce qui est de la diversité, alors là, ils étaient tous là. Le pour, le contre, le fidèle, le déçu, l'occasionnel, etc.

Les pour se manifestent les premiers. Ils ont entendu la fille à la radio en lire un extrait qui les a confortés dans leur sentiment. À neuf heures et demie samedi matin, j'en avais déjà une vingtaine dans ma boîte de réception: c'est tellement vrai ce que vous dites, merci, merci, je vous z'aime.

 

Deux sous-groupes de pour: ceux qui me portent une affection éternelle et qui s'inquiètent de plus en plus de ce que je ne le sois pas: comment on va faire quand vous serez mort? Et ceux qui aiment les phoques qui me couvrent de fleurs pour une fois: je me méfie de vous d'habitude, mais là, génial, bravo...

Les contre arrivent plus tard, vers midi et s'égrènent jusqu'au lundi. Conformément à l'opinion publique largement pro-chasse, les contre étaient beaucoup plus nombreux samedi que les pour. Trois sous-groupes. Ceux qui me vouent une détestation de toujours et me poussent vers la sortie: Prenez donc votre retraite! Je reconnais leur nom, ils m'écrivent deux ou trois fois par mois depuis des années, ils sont accros à cette chronique comme à un site porno, se promettent de plus y revenir, mais y viennent et reviennent.

Il y a aussi l'occasionnel, que je nomme aussi le touriste. Samedi, il venait des Îles, où il y va en vacances tous les étés, connaît un chasseur qui «vous botterait le cul avec un plaisir que vous ne soupçonnez pas». Mais si, mais si, je soupçonne. Une fois, ils ont mangé du phoque mironton et holala ce que c'était bon.

Ceux-là ne me lisent jamais, ils m'ont lu samedi parce que quelqu'un leur a dit: lis ça, c'est épouvantable. En plus d'aller contre leur sentiment, cela ne ressemble pas à ce qu'ils lisent d'habitude, ils me le disent: vous ne savez même pas écrire. Des fois, je leur réponds que c'est parce que je ne suis pas allé à l'école longtemps. Ils s'amadouent aussitôt. Je pourrais en faire mes amis si je voulais, mais je veux pas.

Troisième catégorie: les déçus. Ils m'aiment pourtant bien, me lisent depuis mille ans, me trouvent amusant - sauf quand vous parlez de vélo ou de vos chats, et là, des phoques. Les phoques! Vous manquiez de sujets ou quoi?

En plus de me prendre pour une extension du festival de l'humour, ils sont persuadés que je le fais «exprès». Exprès de quoi? Exprès d'être contre quand tout le monde est pour. C'est mon truc. Sont pas loin de me trouver génial pour ça. Si je devais résumer en trois mots ce qu'ils pensent de moi: Foglia? Ah! ah!

Ce sont les seuls lecteurs que je hais.

Les seuls qui me font rêver qu'on devrait avoir le droit, une semaine par année, de chasser le lecteur comme le phoque. Avec un bâton.

////////////////////

LE NON-DIT - Surpris l'autre mardi dans un resto d'Arlington à demander de la moutarde de Dijon pour son cheeseburger, M. Obama a été l'objet de risées de la part de la presse conservatrice. Quelle sorte d'homme commande un hamburger avec de la moutarde de Dijon? s'interroge sérieusement une animatrice de radio. Elle veut dire bien sûr: quelle sorte d'Américain. Il a dû demander conseil à John Kerry, se moque un prof de Cornell sur son blogue. Et la gang à Rush Limbaugh d'en remettre une couche bien sûr.

Il y a quelque chose d'un peu obscène dans l'acharnement que mettent les conservateurs à ne pas traiter Obama de Nègre, mais de tout le reste. Cette moutarde de Dijon, par exemple, qui en fait presque un Français, quelle jubilation pour eux. Mais aussi quelle frustration. C'est tellement autre chose qu'ils aimeraient dire.

MOUTARDE - Parlant de moutarde. Cela n'a pas été dit aux audiences de la commission Bouchard-Taylor, c'est un secret, je vous le livre: la relish, le ketchup, le vinaigre blanc, celui des bocaux dans lesquels baignaient (baignent encore?) les oeufs et les langues sur le comptoir des tavernes, et la moutarde américaine sont les frontières infranchissables qui empêcheront toujours l'immigrant européen de première génération de devenir réellement nord-américain. Malgré mes formidables capacités d'intégration, c'est par la relish que je ne serai jamais entièrement de votre race. Pour le ketchup, je ne le supporte que maison. Pour la moutarde américaine, je la tolère aussi, mais seulement sur les hamburgers des fast-food, ceux des stades et des arénas. Bref, quand ce n'est pas vraiment de la viande, je veux bien tartiner dessus de la moutarde qui n'est pas vraiment de la moutarde en me disant: bof, un peu plus ou un peu moins dégueulasse, ça dérange pas.

BOUFFE ENCORE - Cela ne vous étonnera pas, moi si, considérablement: il existe un parmesan canadien. On n'est pas ici dans la production artisanale de ces fromages fins québécois qui valent bien les européens. On est dans le succédané cheapo, vendu prérâpé, que les gens achètent pour mettre dans des recettes. Abondamment servi dans les restaurants soi-disant chic. Parmigiano? demande le garçon. Et il saupoudre votre minestrone ou votre risotto de ce machin trop salé probablement fait de lait de brebis pognées pour brouter toute l'année autour de l'aréna de Flin Flon Manitoba.

Généralement, ici, la conversation glisse sur le prix. Oui, mais t'as vu le prix du vrai parmesan, le Reggiano et même le grana padano? Le canadien, c'est mieux que rien, non?

Non. C'est mieux rien.

Mais quand t'es pauvre?

Quand t'es pauvre des fois, tu manges de la merde. Mais c'est vraiment pas nécessaire d'ajouter l'insulte à la nécessité en râpant d'autre merde dessus.