Cela ne devait pas être le procès de l'ancienne administration, qui se tiendra plus tard ce mois-ci. C'était le baptême parlementaire du nouveau président de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Mais le passé dont Michael Sabia hérite est si lourd qu'il a hanté son témoignage de quatre heures.

Même la salle choisie faisait office de symbole. La comparution des dirigeants de la Caisse ne se tenait pas dans le fastueux salon Rouge, où Henri-Paul Rousseau avait envoûté les députés avec ses explications sur le papier commercial, mais dans le très beige salon Lafontaine.

«Ce n'est pas à moi à juger des actions de mes prédécesseurs», a dit Michael Sabia d'emblée. Mais toutes les remises en question de la nouvelle direction sont criantes de récriminations.

Ainsi en est-il de l'effet de levier, une technique financière répandue mais risquée qui consiste à emprunter des fonds pour les réinvestir afin d'en tirer un rendement supérieur au coût de l'emprunt.

«Notre niveau de levier à la Caisse en général est un peu élevé, oui», a reconnu Michael Sabia en réponse aux questions de François Legault, critique aux finances du Parti québécois.

Même critique, à mots couverts, de la politique de rémunération qui octroie des primes aux gestionnaires sans égard aux risques subis, ce qui explique en partie les investissements catastrophiques dans le papier commercial. Le président du conseil, Robert Tessier, a expliqué que les administrateurs réexaminaient cette politique pour que rendements et risques soient évalués de concert, avant de récompenser les dirigeants.

Les investissements en immobilier, qui expliquent en bonne partie la contre-performance de 2008, sont aussi scrutés à la loupe. Michael Sabia s'interroge sur les investissements dans les titres d'emprunt immobiliers, et non dans les immeubles à proprement parler.

«Le niveau de risque, (l'utilisation de) l'effet de levier et la performance sont tout à fait inacceptables», a tranché Michael Sabia.

Personne ne l'a dit à voix haute. Mais tout le monde a compris que la Caisse a joué aux cow-boys avec les épargnes des Québécois.

Comment se fait-il que le conseil d'administration n'ait rien vu? Il s'est endormi, a expliqué en substance Robert Tessier. «Si vous êtes dans un premier de classe, avec des résultats excellents, c'est un facteur qui crée une certaine confiance, une situation de confort.»

Lui aussi s'est gardé de juger ses prédécesseurs. Mais Robert Tessier a eu cette phrase révélatrice, en parlant de la création, au conseil, d'un comité pour évaluer les risques. Ce comité sera composé des personnes «avec la plus haute compétence pour «challenger» la haute direction».

Personne n'osait critiquer Henri-Paul Rousseau, qui dominait son entourage à la Caisse, au propre comme au figuré.

C'est tout le contraire pour Michael Sabia, dont la nomination téléguidée par le cabinet de Jean Charest a ridiculisé les prétentions d'indépendance de la Caisse. Surtout que le dirigeant, arrivé en poste il y a seulement six semaines, ne maîtrisait évidemment pas le détail de ses dossiers, hier. Aux yeux de l'opposition, il a paru vulnérable.

Le député péquiste Jean-Martin Aussant a remis en cause l'attachement de Michael Sabia pour le Québec en évoquant la vente avortée de BCE à un consortium piloté par la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario, Teachers'. Mal lui en a pris.

Michael Sabia, dont le grand-père d'origine italienne a émigré à Montréal sans le sou, s'est empourpré, sa voix trahissant son émotion. «Je me considère comme un allophone qui a des racines profondes au Québec.»

Aux yeux de Michael Sabia, il vaut mieux investir dans les entreprises québécoises de taille moyenne, pour créer les multinationales de demain. Investir entre 25 et 30 milliards de dollars pour empêcher les grandes entreprises du Québec de tomber sous contrôle étranger équivaudrait à mettre beaucoup d'oeufs dans le même panier. Sans rendement assuré.

Il n'est pas le seul à défendre cette position, le Québec étant divisé en deux camps bien définis sur la mission économique de la Caisse. Mais ce n'est pas parce que Michael Sabia ne croit pas aux minorités de blocage qu'il est un traître à la nation.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca