Les gestes d'ouverture de Barack Obama à l'égard de Cuba sont timides. Il ne s'agit pour l'instant que de permettre les voyages des Américano-Cubains vers leur île natale et de faciliter les transferts de fonds. On est encore loin de la levée de l'embargo commercial.

Mais le virage est néanmoins significatif. En admettant l'échec de la politique américaine, lors du Sommet des Amériques, à Trinité et Tobago, le président américain a amorcé le début de la fin d'une logique d'affrontement, survivance absurde de la guerre froide et grand symbole du dogmatisme américain. Un petit pas qui laisse croire que, de part et d'autre, on commence à préparer l'après-Castro.

Il évident qu'ici, on applaudira. Le Canada n'a jamais coupé ses liens avec Cuba, même pendant la Guerre froide, parce qu'on a toujours cru que la meilleure façon d'encourager la démocratisation de ce pays était de maintenir des liens, une approche plus sage que celle des Américains, qui ont diabolisé Fidel Castro et braqué son régime. Ce désir de dialogue, on l'a vu chez tous ces touristes québécois qui voient Cuba comme un pays ami.

En principe, les États-Unis se refusent à établir des relations normales avec Cuba parce que ce pays n'est pas démocratique. L'argument est boiteux, car les États-Unis entretiennent, dans une sensibilité à géométrie variable, des liens étroits avec bien des dictatures, comme l'Arabie Saoudite. Leur agressivité envers Cuba tient bien davantage à la survivance d'un anticommunisme primaire, au poids politique des exilés cubains, et aux cicatrices de l'escalade du début des années 60.

L'insistance sur l'instauration de la démocratie repose en outre sur une vision étriquée des droits qui ramène la démocratie à la tenue d'élections libres. Il est vrai que Cuba est une dictature, où il n'y a pas d'élections, où l'oppression étouffante muselle les citoyens, où il y a des prisonniers politiques. Mais ce n'est pas un régime de terreur. Dans le monde des régimes totalitaires, Cuba est loin d'être parmi les pires. Par contre, bien des pays en principe démocratiques tolèrent la torture et les assassinats politiques.

Il n'en reste pas moins que ce pays est dans une impasse économique, sociale et politique, un pays figé qui attend la mort de son dictateur, un « paradis socialiste » qui, depuis l'arrivée à sa tête de Raoul Castro, s'est transformé en gérontocratie monarchique. Le modèle d'économie planifiée a été un échec total. Cuba est incapable de nourrir ses citoyens et de produire ce dont ils ont besoin, il survit grâce à la charité internationale et en expliquant ses échecs par un embargo américain qui est politiquement bien commode.

Cependant, ce pays dispose d'un énorme potentiel, comparé à bien des nations latino-américaines. Ce potentiel tient largement aux réalisations de la révolution castriste : un système de santé de haut niveau, une identité nationale forte, un degré d'éducation comparable à celui des sociétés industrialisées.

À condition, bien sûr, que la transition se fasse bien. Le Canada, un pays du Nord qui n'a jamais coupé les ponts avec Cuba, peut jouer un rôle utile. Mais au Sommet des Amériques, le premier ministre canadien n'a pas joué ce rôle. Stephen Harper voulait parler «d'affaires» et espérait que la question cubaine ne prendrait pas trop de place, ne comprenant pas l'importance qu'elle revêt en Amérique latine.

Pourquoi? Parce que l'ouverture à Cuba est trop associée au règne libéral? Parce qu'il y aurait chez M. Harper des réflexes anticommunistes, comme on l'a senti dans le cas de la Chine ? Mais le résultat est là. Encore une fois, M. Harper a été déphasé, en dehors de la plaque, comme s'il ne trouvait plus sa place dans un monde qui change trop vite.