En levant l'interdiction de voyager ou d'envoyer de l'argent à Cuba, le président Barack Obama a fait un virage important par rapport à la politique américaine des 50 dernières années.

Certes, la plupart des experts pensent qu'on est encore très loin de la levée totale de l'embargo américain. Ils ont sans doute raison. M.Obama lui-même n'est visiblement pas prêt à bouger en ce sens. N'empêche: les nouvelles mesures représentent, pour Cuba, une bouffée d'air frais attendue depuis longtemps. Si on fait exception des quelques assouplissements consentis par Jimmy Carter en 1977 (et que son successeur Ronald Reagan s'empressera d'annuler), tous les présidents depuis Eisenhower, démocrates et républicains confondus, sont demeurés rigoureusement inflexibles dans ce dossier.

 

Au premier coup d'oeil, on peut être porté à sympathiser avec Cuba, le petit qui se bat vaillamment contre le gros. La disproportion entre les deux pays est monstrueuse. Aux taux de change courants, le produit intérieur brut américain fait 260 fois celui de Cuba. Ou, pour dire les choses autrement, l'économie cubaine est plus petite que celle du Vermont, un des plus petits États de l'Union. Comment expliquer qu'une puissance économique aussi prodigieuse que les États-Unis mette autant d'acharnement à étouffer son minuscule voisin?

D'ailleurs, dans ce combat inégal, Cuba, malgré la brutalité du régime, a reçu de nombreux témoignages d'appui. On ne compte plus, aux Nations Unies, le nombre de résolutions condamnant l'embargo américain et il existe, partout dans le monde, des groupes de pression qui militent pour la levée de l'embargo.

Pour mieux comprendre le dossier, il serait peut-être utile de revoir comment on en est arrivé là.

En janvier 1959, Fidel Castro renverse le régime corrompu du dictateur Fulgencio Batista. Au début, la nouvelle est très bien accueillie aux États-Unis. Washington n'hésite pas: il reconnaît le nouveau gouvernement sur-le-champ. Castro vient lui-même à New York où il est accueilli en véritable héros.

La lune de miel ne dure pas

Cinq mois plus tard, le gouvernement Castro fait voter une loi sur la redistribution des terres. Objectif noble, certes, mais qui ne va pas sans défaut: toutes les terres appartenant à des citoyens ou des entreprises américaines sont confisquées sans compensation. C'est un coup dur pour les propriétaires américains des immenses plantations de canne à sucre: au total, ces expropriations représentent 10% de la superficie de l'île, ce qui n'est pas rien.

Comme il fallait s'y attendre, les États-Unis protestent et, pour la première fois, évoquent la possibilité de sanctions économiques. Le gouvernement Castro ne reste pas inactif. Devant la menace de sanctions américaines, il signe un traité commercial avec les Soviétiques. Le moment est mal choisi: le monde est en pleine guerre froide et tout rapprochement avec Moscou est forcément perçu comme une provocation par Washington. Puis, éclate la crise des raffineries de pétrole. Le traité avec Moscou prévoit notamment la livraison de pétrole brut à Cuba. Or, lorsque les premières cargaisons arrivent, les pétrolières américaines installées dans l'île refusent de raffiner le pétrole soviétique. Cela déclenche une grave crise, qui prend fin lorsque le gouvernement cubain exproprie les pétrolières sans compensation. Le geste cause énormément de ressentiment aux États-Unis.

À ce stade, les Américains commencent à en avoir assez, et annoncent qu'ils suspendent leurs achats de sucre. Là aussi, Castro ne perd pas de temps: toutes les installations industrielles américaines sont nationalisées dans les semaines qui suivent, sans compensation.

Dans ces conditions, cela ne prend pas de temps avant que le conflit dégénère rapidement. En 1961, le président Kennedy lance l'invasion de la baie des Cochons, qui se termine par un fiasco intégral. À ce moment, le gouvernement Castro a depuis longtemps tourné le dos aux États-Unis et s'appuie désormais sur l'Union soviétique, qui lui achète sa production sucrière à des prix plus élevés que les cours du marché. Puis éclate en 1962 une nouvelle crise, la pire de toutes. Castro permet aux Soviétiques d'installer leurs missiles à Cuba, à quelques dizaines de kilomètres des côtes américaines. Pour Kennedy, c'est en trop, et il somme les Soviétiques de se retirer. Le monde retient son souffle, mais Moscou finira par plier. Toute l'affaire laisse un goût extrêmement amer, non seulement aux dirigeants politiques et militaires américains, mais aussi dans l'opinion publique, que tous ces événements ont fini par rendre farouchement anticastriste.

Aussi, personne ne pense à protester très fort lorsque, toujours en 1962, Kennedy annonce un embargo intégral sur tout le commerce de marchandises, les relations financières et les voyages à Cuba.

Officiellement, l'embargo dure donc depuis 47 ans.

L'évaluation des dommages financiers est difficile. Cuba a certainement souffert de l'embargo, qui lui a fermé les portes du riche marché américain. De plus, les Cubains ont dû s'approvisionner ailleurs qu'aux États-Unis, et souvent à prix forts.

Le gouvernement cubain évalue ses pertes à 70 milliards. C'est probablement exagéré.

Le sucre est, de loin, le principal produit d'exportation cubain. Or, quand les États-Unis ont arrêté d'acheter du sucre cubain, l'Union soviétique a pris la relève, et à des conditions fort avantageuses pour Cuba. Et après l'implosion de l'Union soviétique, la Chine a pris le relais à son tour (la Chine est aujourd'hui le premier client de Cuba). En ce qui concerne les exportations, c'est le pétrole qui arrive en tête de liste. Lorsque les Américains ont cessé de vendre du pétrole aux Cubains, ceux-ci ont conclu un accord avec les Soviétiques, comme nous l'avons vu. Plus tard, le Venezuela d'Hugo Chavez est venu à la rescousse; les Cubains n'ont même pas besoin de se soucier des fluctuations des cours, parce que Chavez leur fait un prix de faveur.

Les échanges internationaux de Cuba (avec qui, par ailleurs, le Canada n'a jamais cessé de faire du commerce) n'ont donc probablement pas autant souffert que le prétendent les autorités cubaines.