Depuis la réélection majoritaire du Parti libéral du Québec, le 8 décembre, une question lancinante alimente toutes les conversations politiques non officielles, même avec ses députés et organisateurs: «Penses-tu que Jean Charest va partir? Et quand?»

La réponse: je ne crois pas que Jean Charest se représentera une cinquième fois devant l'électorat québécois à la tête du PLQ; je ne crois pas non plus qu'il terminera le présent mandat, mais pour la date de son départ, vos suppositions valent bien les miennes.

 

Il serait étonnant, toutefois, qu'il quitte son poste avant une éventuelle reprise économique, autrement il aurait l'air d'abandonner un bateau qui coule. Une reprise chasserait quelques nuages accumulés depuis des mois au-dessus de la tête des libéraux et leur chef pourrait, en partie, s'en attribuer le mérite. Le Québec se relèverait, les grands chantiers tourneraient à fond, les perspectives budgétaires s'amélioreraient et nous parlerions peut-être un peu moins des déboires de la Caisse de dépôt. Ce scénario nous amène, au plus tôt, en 2010.

Cela dit, Jean Charest, comme l'a écrit mon collègue André Pratte, il y a plus de 10 ans, demeure une énigme même pour les gens qui le côtoient régulièrement. Dans son entourage, on rencontre aussi bien des gens convaincus qu'il ne terminera pas son mandat que d'autres, moins nombreux, qui pensent qu'il pourrait même se présenter de nouveau en 2012 ou 2013.

Cela ne nous aide pas beaucoup pour répondre à la question de son avenir. Pour le moment, Jean Charest est omniprésent et ne donne absolument pas l'impression d'un chef préparant sa sortie.

Autour de lui, on note toutefois du mouvement, ce qui est souvent un bon indicateur du début de la fin d'un régime.

Sans tambour ni trompette, le directeur général du PLQ, Claude Lemieux, a quitté ses fonctions le 6 mars, sans nouvelle destination professionnelle connue. M. Lemieux gravite dans l'orbite libérale depuis des années aussi bien à Ottawa qu'à Québec, où il a été conseiller spécial de Jean Charest dans le premier mandat avant d'occuper la direction générale du Parti. C'est l'organisateur en chef, l'ancien député Karl Blackburn, qui occupe dorénavant le poste de DG (en plus de ses fonctions d'organisateur).

Impossible d'en savoir plus sur les projets de M. Lemieux pour le moment. Sa trajectoire nous en dira peut-être plus sur les intentions de Jean Charest. Il n'est pas rare, en effet, que les premiers ministres en fin de règne récompensent leurs loyaux collaborateurs avant de partir.

Dans les rangs libéraux, on raconte aussi que le chef de cabinet de Jean Charest, Daniel Gagnier, s'apprête à partir.

Principal conseiller et concepteur (avec John Parisella) du Jean Charest nouveau que l'on a vu lors du mandat minoritaire des libéraux, de mars 2007 à décembre 2008, Daniel Gagnier est perçu comme un homme de l'ombre efficace.

Son étoile a toutefois pâli ces dernières semaines au sein du Parti libéral, notamment à cause de la nomination controversée de Michael Sabia à la Caisse de Dépôt, une décision dont plusieurs le tiennent responsable.

Les chefs de cabinet sont comme les entraîneurs sportifs: quand l'équipe gagne, c'est grâce aux joueurs, mais quand elle perd, ils sont les premiers à casquer. Tomber pour protéger le chef, c'est dans la description de tâche d'un chef de cabinet.

Autre rumeur persistante: la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, profondément égratignée au cours des quatre derniers mois, démissionnerait rapidement, ce qui permettrait à Jean Charest de déclencher deux partielles tôt l'automne prochain. Une dans Rivière-du-Loup (circonscription de Mario Dumont, hautement «prenable» pour le candidat libéral, l'ancien maire Jean D'Amour) et l'autre dans Marguerite-Bourgeoys.

Pour les libéraux, deux victoires dès la rentrée apporteraient un réconfort moral important après des mois difficiles.

Selon la loi électorale, l'élection partielle dans Rivière-du-Loup aura lieu, au plus tard, début octobre. Rien n'empêcherait Jean Charest d'ajouter Marguerite-Bourgeoys, si Mme Jérôme-Forget s'en va à la fin de la présente session.

Toute la question de l'avenir de Jean Charest soulève par ailleurs une sous-question tout aussi appétissante pour les mordus de politique: qui pourrait le remplacer?

Pour le moment, trois noms reviennent le plus souvent dans les discussions: le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, qui n'a jamais caché ses ambitions; sa collègue à l'Environnement, Line Beauchamp, qui jouit de l'estime de plusieurs gros canons du cabinet et l'ancien ministre Jean-Marc Fournier, qui souhaiterait revenir en politique.

Quant à cette hypothèse envoyant, éventuellement, Jean Charest à la tête du Parti conservateur en remplacement de Stephen Harper, elle compte plus d'adeptes de ce côté-ci de la rivière des Outaouais.

Jean Charest n'a pas de réseau dans le nouveau Parti conservateur et il compte un certain nombre d'ennemis dans l'aile réformiste, qu'il a pourfendue quand il était chef conservateur, entre 1993 et 1997.

La dernière campagne électorale fédérale n'aura certainement pas aidé à rapprocher M. Charest du Parti conservateur.

Par ailleurs, d'autres sont mieux placés que lui pour succéder éventuellement à M. Harper, dont son ministre de l'Environnement Jim Prentice, qui compte de nombreux et fidèles partisans, ou Bernard Lord, dont le nom revient régulièrement.

Jean Charest a peut-être conservé intact son rêve d'enfance de devenir premier ministre du Canada, mais les conservateurs, eux, ne rêvent pas de Jean Charest.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca