Dans cette véritable épopée qu'est devenue l'interdiction de séjour au Canada du député britannique George Galloway, l'ironie réside dans le fait que jamais, au bout du compte, une absence n'aura-t-elle été aussi envahissante!

Galloway prendra la parole par transmission vidéo, ce soir, à l'Université Concordia. Lundi, à Toronto, sa prestation pixellisée a fait salle comble. Depuis trois jours, il squatte virtuellement tous les grands médias du pays. Quarante-cinq organisations se sont levées pour défendre son droit de s'exprimer, selon l'ONG palestinienne International Solidarity Movement. Et il est devenu un héros instantané: ce soir, à Concordia, qui osera signaler que le discours de Galloway, compagnon de route d'une belle brochette de tyrans, se situe toujours à la frontière de l'incitation à la haine et de l'appui tangible à la terreur?

 

Au fait, Concordia, ça vous rappelle quelque chose?

C'est là que, en 2002 et 2004, Ehoud Barak et Benyamin Nétanyahou n'avaient tout simplement pas pu s'exprimer, physiquement chassés par la violence de la «rue».

Qui, alors, avait défendu leur droit de parole?

Ainsi va ce que, bientôt, on évoquera en s'esclaffant comme si c'était une bonne blague: la liberté d'expression.

Car des outils de toute nature sont de plus en plus disponibles à ceux - et ils sont légion - qui sont de preux chevaliers de la liberté d'expression... à la stricte condition qu'elle soit utilisée pour dire la même chose qu'eux.

Galloway lui-même peut en témoigner: aujourd'hui victime d'une interdiction de séjour, il a jadis demandé à son propre gouvernement... d'interdire de séjour Jean-Marie Le Pen, dont le discours ne lui plaisait pas! Même les sincères défenseurs du droit de parole succombent: le journaliste et militant canadien Ezra Levant (à peu près inconnu au Québec), qui a vécu un véritable calvaire en combattant le bâillon de l'État, s'est prononcé dans son blogue contre l'entrée au pays de George Galloway.

La liberté d'expression est, de façon générale, la plus torturée des prérogatives de l'homme dit libre.

L'ineffable Conseil des droits de l'homme de l'ONU est tout entier occupé à renier son mandat en prônant l'interdiction de «diffamer» les religions constituées - on subodore qui et quoi cela propose de réduire au silence.

Ici, les multiples et parfois ésotériques commissions des droits du Canada (il faut lire Shakedown de Levant, justement, pour en obtenir un juteux portrait) affûtent leurs ciseaux dans l'indifférence générale...

Bref, c'est ce qu'on appelle une tendance lourde.

Ainsi, exclure Galloway a été une grossière erreur d'Ottawa: aux États-Unis, on l'a laissé entrer, de la même façon qu'on a autorisé Mahmoud Ahmadinejad, ce pivot de l'«axe du mal», à prendre la parole à l'Université Columbia.

Il faut le rappeler encore et encore: le droit à la libre expression a été inventé, non pas pour protéger les prises de position consensuelles et politiquement correctes; mais bien les discours contestables et même carrément bouffons, parfois livrés par des individus qui le sont tout autant.

George Galloway peut désormais poser en martyr canadien.

Bravo. C'est réussi.

mroy@lapresse.ca