Sébastien Ricard dit (à Marc-André Lussier, dans La Presse): «Le phénomène des Colocs, comme bien d'autres choses à cette époque, m'a complètement échappé.» Ricard fait partie du groupe Loco Locass. Mais, dorénavant, il sera surtout connu pour ce qu'il a accompli devant la caméra du réalisateur Jean-Philippe Duval: ressusciter Dédé Fortin; faire redécouvrir les Colocs; ouvrir la fenêtre sur une époque aigre-douce, mal connue, de la petite histoire à la fois culturelle et sociale du Québec.

Les Colocs avaient en effet une profondeur, tant dans leurs racines que dans leur façon de se projeter dans l'avenir, qui avait échappé à plusieurs, pas seulement à Ricard...

 

Le film de Duval, Dédé à travers les brumes, sera projeté sur 70 écrans au Québec à compter de demain.

C'est un «gros» film, dans tous les sens du mot.

Il s'étire sur 140 minutes. Il participe d'un genre hybride se situant entre la biographie et la fiction, acrobatie qui n'est pas sans péril. Il est le résultat d'un travail d'artisan au sens noble du terme, épris de son sujet, respectueux du matériau brut qu'il façonne, attentif aux détails, cherchant avec modestie à atteindre une forme de beauté.

On dira - en fait, on a déjà dit- que Dédé à travers les brumes n'offre qu'une dimension du personnage complexe que fut Dédé Fortin, néglige des influences et des amis, abuse de raccourcis et vise le «spectaculaire», notamment dans son évocation de la fin tragique du chanteur et parolier (il s'est suicidé en mai 2000).

En un sens, c'est vrai: Jean-Philippe Duval a bel et bien... fait un film.

Chaque support de communication et/ou de culture a ses contingences et ses limites. Ainsi, en 90 ou même 140 minutes, le cinéma est impuissant à rendre compte de la richesse d'une vie. Pour cela, il faut la littérature: des centaines ou des milliers de pages de texte - et souvent, même là, ça ne suffit pas.

Le cas de Dédé et des Colocs présentait une autre difficulté. Leur histoire est toute récente, mais elle a déjà accédé au statut d'épopée mythique. Cela arrive aux artistes populaires dont le génie créatif est hors du commun et qui, en général sans l'avoir cherché, en viennent à incarner l'âme d'une génération (voir à ce sujet Le blogue de l'édito sur Cyberpresse). Ce fut probablement très lourd à porter pour Dédé Fortin dont la disparition, après celle de l'harmoniciste Patrick Esposito Di Napoli mort du sida en 1994, a donné au mythe sa couleur tragique.

Bref, traduire en images la courte mais intense saga des Colocs présentait un considérable défi. Duval, Ricard et les autres l'ont relevé avec l'intelligence et la grâce de Belzébuth, ce noble chat qui hante le film.

Un chat «... jaloux très secrètement/D'la profondeur des malheureux».

Ressusciter les Colocs au cinéma était risqué. Mais c'était nécessaire. Et c'est réussi.

mroy@lapresse.ca