À trois heures et demie de l'après-midi, j'étais déjà au Stade. Un quart d'heure plus tard, j'étais tout fin seul en plein milieu du terrain, le nez en l'air, humant l'odeur, cherchant à voir les coutures de la toile du toit pour être certain que ça ne me tomberait pas sur la tête et j'étais bien.

Je me disais que c'est pas vrai que le Stade olympique est un stade de merde. Avec de bonnes équipes, avec une bonne promotion, avec une organisation qui se brasserait le steak à la RIO, ça redeviendrait un endroit de plaisir.

C'est certain que le Stade a vieilli. Les catacombes sont toujours aussi grises. Les seules couleurs qu'on voit sont celles de l'écusson des Alouettes à l'entrée de leur vestiaire, qu'ils utilisent un match par année, et celles de l'Impact. Mais l'Impact, c'est juste une affiche en plastique qu'on a collée au mur. Ça va disparaître trop vite.

Le Stade a vieilli et il ne sert plus à grand-chose. D'ailleurs, il n'y a plus de publicité autour de l'anneau technique. À part les jaunâtres bonjourquebec.com. En fait, il n'avait pas servi en hiver depuis neuf ans, me rappelait Richard Legendre, l'ancien ministre des Sports dans le temps qu'il y avait un ministre responsable des sports à Québec.

J'étais tout seul en plein milieu du tapis. Onctueux, mille fois mieux que le tapis de béton sur lequel devaient courir Andre Dawson et Tim Raines. J'essayais de refouler les souvenirs, mais c'était impossible. Surtout que le matin même, j'avais visionné Coup sûr, une série de trois épisodes racontant l'histoire du baseball et des Expos écrite par notre Marc Antoine Godin et réalisée par Nicolas Houde-Sauvé. À la fin, comme Paul Houde, comme Ron Piché, comme Fernand Lapierre et Joanne Mercier, j'avais les larmes aux yeux en assistant aux scènes du dernier match des Expos au Stade olympique.

J'étais au milieu du terrain et du stade et j'étais envahi par tous ces moments fabuleux. Les victoires de Steve Rogers, les courses de Tim Raines, les circuits de Larry Parrish, le beau grand blond qui frappait, j'entendais les cris et les applaudissements des 50 000 personnes qui remplissaient le Stade soir après soir. Les Expos, quand ils n'étaient pas en grève, jouaient trois soirs et le lendemain, le Manic de la Ligue nord-américaine de soccer prenait la relève: «Dans ce temps-là, on travaillait 24 heures par jour pour que le stade soit prêt pour tous ces événements», me racontait un de ces employés qui ont vu le Stade et le Québec devenir une peau de Chagrin.

Et ça recommençait avec les 60 000 spectateurs qui revenaient applaudir les Alouettes.

Plus tard en soirée, Richard Chartier est venu nous voir sur la galerie de presse. Le grand rouquin a du blanc dans le rouge, mais il n'a rien perdu de sa fougue. C'est avec lui que j'avais couvert le premier camp d'entraînement du Manic à South Dade, au sud de Miami. Et on avait eu un fun noir à essayer de comprendre l'accent cockney de Tony Towers et Fran O'Brien. Et si mon garçon Allan n'a jamais eu de chandail du Canadien, il portait le numéro 6 de O'Brien.

Et même si les dates ne concordent pas à 24 heures près, je me rappelle d'un soir de septembre, le 1er ou le 2 septembre 1981, que j'avais passé à me faire suer dans le vieil aréna de Winnipeg, sous le regard de la reine Élisabeth, à couvrir un match plate entre l'URSS et la Tchécoslovaquie. J'avais passé la soirée au téléphone avec Chartier, qui devait hurler dans le stade en folie. Il y avait 58 542 spectateurs pour l'affrontement entre le Manic et le Sting de Chicago.

Le Manic avait été un succès colossal malgré une épouvantable récession qui frappait l'Amérique. Une récession assortie d'une inflation qui faisait grimper les taux d'intérêt à 24%.

Hier soir, il y avait au moins 55 000 personnes dans le grand stade, malgré une épouvantable récession qui frappe toute l'Amérique et le reste du monde. Si ces 50 000 Québécois en fête avaient dû se partager la perte annoncée dans la journée de 40 milliards par la Caisse de dépôt, ils auraient dû rembourser 800 000$ chacun. Évidemment que 500 000 Québécois devront rembourser 80 000$ et cinq millions environ 8000$ . C'est simple, une famille de deux enfants se couche avec 32 000$ de perdus ce soir.

Mais on s'en fiche, le Canadien a gagné contre Vancouver.

Un quart de siècle plus tard, une autre équipe de soccer remplit le grand Stade olympique. Joey Saputo et Richard Legendre avaient raison d'être fiers. La famille Saputo a investi argent et efforts dans le soccer. Et Joey Saputo est prêt à continuer. Il laisse passer la tempête qui souffle sur la Major Soccer League, qui demande 40 millions pour une concession: «Le propriétaire des Mets de New York avait demandé une équipe pour la région du grand New York. Il vient de révéler qu'il a perdu une fortune et qu'il renonce à sa demande. On va voir. Si jamais le prix vient dans une fourchette intéressante, quelque chose comme 20 millions pour la concession et 20 millions pour agrandir le stade Saputo, on verra», de dire Joey Saputo.

En attendant, Saputo regardait le Stade et se disait qu'il n'aurait même osé rêver à pareille soirée quand il s'est engagé dans l'Impact. C'est comme Cendrillon qui attendait la première danse du bal princier.

Une si belle soirée, surtout avec l'Impact qui a marqué le premier but, que je me suis réconcilié avec le «grand O». Remarquez que le Stade, lui, s'en foutait.

DANS LE CALEPIN À la demie, le Stade était le plus beau microcosme de ce qu'est devenu le nouveau Montréal. Des milliers d'amateurs qui parlent français, qui discutent dans une douce langue française auréolée de toutes sortes d'accents. Même que le maire Gérald Tremblay, avec son blazer et sa cravate, avait l'air tout à fait à sa place dans cette joyeuse ribambelle.