Lorsque des hommes enlèvent la vie de leurs proches, de leur conjointe, de leurs enfants, ou leur propre vie même, l'émotion dure trois jours. Puis c'est l'oubli et le silence. Mais, face à la tragédie qui a mené à la mort les enfants d'un couple de médecins, l'opinion publique, plus ébranlée qu'à l'ordinaire, semble se comporter différemment.

Se pourrait-il que, l'affaire étant survenue au sein d'une classe sociale et professionnelle avec laquelle la violence, surtout familiale, paraît incompatible, la réflexion mène cette fois à quelque action?

 

Il faudrait pour cela que beaucoup de préjugés tombent et que l'humanisme prévale sur le sectarisme.

Vaste programme.

Le cardiologue Guy Turcotte a été accusé, hier, du meurtre de ses deux petits, Olivier et Anne-Sophie. Le médecin de 36 ans a de toute évidence tenté de se suicider après le fait.

C'est un scénario connu, hélas, même si le filicide est peu courant au Québec: six ou sept enfants sont victimes d'un de leurs parents chaque année, pères et mères partageant presque à égalité la responsabilité de ces actes.

Mais ce qui est exceptionnel dans le cas du drame de Piedmont, c'est que, pour la première fois, l'opinion publique manifeste de la compassion, un désir de comprendre, à l'endroit d'un père accusé d'un tel acte - sentiments auparavant réservés aux mères qui ont tué. Est-ce parce que cet homme est médecin, qu'il fait partie de l'élite?

Peu importe.

Ce qui compte, c'est que, malgré l'horreur du geste, l'humanité de cet homme est cette fois reconnue. Qu'il n'est pas instantanément «jeté» comme une bête. Qu'il n'est pas condamné avant procès par le tribunal de l'opinion publique qui, dirait-on, découvre aujourd'hui une telle chose que la souffrance des hommes.

À ce jour, rien n'était parvenu à opérer ce changement de vision. Surtout pas le fameux rapport Rondeau, Les hommes: s'ouvrir à leurs réalités et répondre à leurs besoins (2004), qui recommandait d'augmenter les ressources destinées aux hommes - précisément parce que, parfois, ils souffrent. Le rapport a été déchiqueté par le puissant lobby du féminisme institutionnel (un problème «fabriqué» n'est-ce pas?) et conséquemment classé dans le classeur des affaires classées.

Mais il y a autre chose encore.

Le problème, c'est que l'homme «ne parle pas» répète-t-on à satiété depuis samedi, comme si ça expliquait tout: il devrait s'ouvrir, dialoguer, chercher de l'aide, comme la femme, elle, sait le faire...

Très bien. Mais posons tout de même la question. Et si l'homme était ainsi, et pas autrement? S'il faisait partie de ses valeurs, bâties au fil des millénaires, de pencher dans l'adversité et la peine vers le stoïcisme et le silence? Cela en ferait-il un être inférieur, qu'il faudrait rééduquer de façon à lui inoculer des valeurs «supérieures»?

Ou bien le système ne devrait-il pas plutôt s'adapter à ceux qui, en l'état où ils sont et sans qu'ils se sentent humiliés d'être ainsi, comptent après tout pour la moitié des effectifs de l'espèce humaine?

mroy@lapresse.ca