Le Québec, c'est bien connu, est gravement atteint de «structurite». Pas une année ne passe sans que nous ne remettions en question l'organisation du réseau de la santé, le fonctionnement du système d'éducation, etc.

Qu'on déteste ou qu'on aime cette manie collective de se préoccuper plus de l'enveloppe architecturale du musée que des toiles qui sont dedans, il va falloir s'y remettre et s'attaquer pour de bon à cette vache sacrée qu'est la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Le moment est mal choisi, convenons-en. Alors que les marchés boursiers sont cul par-dessus tête, le Québec tout entier aimerait que la Caisse sache où elle s'en va. Idéalement, avec un président ayant les pleins pouvoirs!

Toutefois, les dérapages récents de la Caisse, les derniers d'une longue série, de Provigo à Vidéotron, n'autorisent plus de complaisance. Il faut effacer l'ardoise. Et cette remise en question va bien au-delà du sempiternel débat partisan sur la mission de la Caisse.

Le monopole de la Caisse

De plus en plus de voix s'élèvent pour casser le monopole de la Caisse de dépôt. Leur analyse s'appuie sur le fait qu'après 40 ans, la Caisse est devenue trop grosse pour la province. Avant la déconfiture de 2008, dont on prendra la pleine mesure aujourd'hui, la Caisse administrait un actif net de 155,4 milliards de dollars.

Aujourd'hui, plus de 25 déposants confient leurs avoirs à l'institution. Les plus importants sont les fonctionnaires du gouvernement, la Régie des rentes du Québec, la Commission de la construction du Québec, la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la Société de l'assurance auto du Québec. En simple, le Québec a tous ses oeufs dans le même panier.

Ainsi, une décision hasardeuse comme l'achat massif de papier commercial adossé à des actifs aura des répercussions fâcheuses aux quatre coins du Québec. Elle entraînera vraisemblablement une hausse des cotisations, une réduction des prestations ou une combinaison malheureuse des deux. Les Québécois en paieront donc le prix pendant des années.

Certains, comme l'ancien banquier Léon Courville, reviennent maintenant avec l'idée de scinder la Caisse en deux ou trois unités distinctes. C'est un vieux débat.

À la fin des années 80, le consultant Marcel Côté, administrateur de la Caisse de 1987 à 1989, avait milité en faveur de l'éclatement de la Caisse, pour tirer de meilleurs rendements. En 1989, le premier ministre Robert Bourassa avait toutefois repoussé cette idée (dans une entrevue accordée au journaliste Philippe Dubuisson, aujourd'hui chef de cabinet de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget). À l'époque, l'actif de la Caisse s'élevait à 35 milliards!

Toutefois, une scission de la Caisse pas la seule façon d'atténuer les risques et d'introduire une saine concurrence. Pourquoi les déposants sont-ils captifs de la Caisse? Pourquoi ne pourraient-ils pas confier une partie ou même la totalité de leurs actifs aux gestionnaires privés de leur choix si tant est que le rendement est la priorité de la Caisse?

La transparence de la Caisse

Qu'il y ait deux ou trois caisses de dépôt concurrentes, cela ne réglera pas le problème de l'opacité de la Caisse, qui se cache derrière des paravents sous le faux prétexte que l'institution obtient ainsi de meilleurs rendements.

En vérité, cette culture de la cachotterie institutionnalisée est bien commode pour dissimuler les petites gaffes comme les grosses erreurs. D'ailleurs, cela sert assez mal la Caisse. On l'a par exemple critiquée d'avoir spéculé sur les devises l'an dernier, alors que la Caisse avait couvert ses investissements immobiliers à l'étranger contre les fluctuations adverses des devises, conformément à sa politique établie.

La transparence va bien au-delà d'une divulgation plus fréquente (deux fois par année, peut-être) des résultats réclamée par nombre de journalistes. Le vérificateur général du Québec doit pouvoir mettre son nez dans les affaires de la Caisse afin d'examiner la gestion de l'institution, comme c'est le cas partout ailleurs au Canada.

L'argument selon lequel le vérificateur n'a pas l'expertise pour apprécier la gestion de la Caisse est pure foutaise. D'une part, le vérificateur peut faire appel à des consultants externes. D'autre part, si les modèles mathématiques et les produits financiers structurés sont trop complexes à comprendre pour le vérificateur général, c'est peut-être parce que le Québec devrait s'en méfier...

L'indépendance de la Caisse

Les libéraux ont voulu affirmer l'indépendance de la Caisse en réformant sa gouvernance en 2004. Mais comme tous l'ont constaté avec le psychodrame de la nomination et du départ précipité de Richard Guay, cette indépendance est un mythe.

La ministre des Finances semble maintenant l'admettre à mots couverts, alors qu'elle prône la nomination d'un sous-ministre aux Finances au conseil de la Caisse. Mais si ce sous-ministre a un poste d'observateur et qu'il tient le gouvernement mieux informé, où est le mal? La proposition a au moins le mérite de couper court à l'hypocrisie.

Au lieu de prétendre à l'indépendance, la Caisse devrait plutôt entretenir une saine distance avec le gouvernement. Cela sera possible si sa mission est clairement axée sur le rendement plutôt que sur des investissements au Québec offrant un moins grand potentiel de rendement. Un seul principe doit guider la Caisse: est-ce le meilleur endroit où investir, compte tenu des risques?

Cette distance sera plus facile à maintenir si les administrateurs de la Caisse ont l'expertise et l'ascendant pour contester la direction, avec l'appui du vérificateur général. À cette fin, il faudrait limiter autant que possible les nominations statutaires et rechercher les meilleurs candidats, sans égard à leur affiliation.

La mission de la Caisse

Les déboires de la Caisse en 2008 ont donné des munitions à ceux qui privilégient l'investissement au Québec au détriment de placements qui sont fonction du rendement.

Mais la Caisse n'a pas dérapé parce qu'elle privilégiait le rendement. Elle a dérapé parce qu'elle recherchait le rendement à tout prix, sans égard aux risques subis. Son problème en est donc un de gestion du risque. Et n'en déplaise à plusieurs, cela ne se corrige pas en changeant la mission de la Caisse.