Rarement visite d'un président américain aura-t-elle suscité autant d'intérêt au Canada que celle de Barack Obama.

C'est un peu normal quand on sait que les élections américaines ont été suivies, de ce côté-ci de la frontière, avec plus de passion que les élections canadiennes qui se déroulaient en même temps. Un sondage Léger Marketing montre même que le président américain est plus populaire au Canada que les leaders politiques canadiens.

En novembre dernier, nombreux ont été les commentateurs politiques qui ont souligné le changement prodigieux qui s'est effectué dans les mentalités américaines. Un président noir, alors que les Noirs ne forment que 12% de la population, et que les sentiments racistes étaient encore bien vivants dans de nombreux États il y a quelques décennies, est un événement que je n'aurais jamais cru voir de mon vivant.

 

Ce que l'on sait moins, pourtant, c'est que le vent de changement qui souffle présentement aux États-Unis est beaucoup plus intense qu'il n'y paraît à première vue. On pourrait même dire que l'élection de Barack Obama n'est que la pointe de l'iceberg.

Ceux qui connaissent mal les États-Unis s'imaginent facilement que les Américains sont des réactionnaires coincés dans leur fanatisme religieux. Ô erreur!

Les présidentielles américaines sont jumelées à de nombreux autres votes. Cela varie selon les États, mais les électeurs peuvent être appelés à choisir en même temps le gouverneur de l'État, les représentants et les sénateurs au Congrès, ainsi qu'au parlement local, des édiles municipaux et scolaires, voire des juges, des procureurs et des chefs de police. En plus, dans plusieurs États, les électeurs doivent se prononcer par voie de référendum sur divers enjeux économiques ou sociaux.

C'est ainsi, par exemple, que les électeurs de Californie avaient à se prononcer sur le mariage gai. Les Californiens ont décidé que seul le mariage entre un homme et une femme pouvait être reconnu légalement dans leur État. Certains porte-parole du lobby gai en ont profité pour affirmer que, derrière l'élection d'Obama, les Américains demeurent foncièrement réactionnaires. Rien n'est moins certain.

La proposition contre le mariage gai a été adoptée par 52% des voix. C'est donc dire, à quelques poussières près, que l'opinion californienne est divisée à peu près moitié-moitié sur la question. Au rythme où les choses évoluent, il y a de bonnes chances pour que le projet y passe facilement dans quatre ans.

Restons un instant en Californie, où une autre proposition veut obliger les entreprises de services publics à tirer au moins 20% de leurs besoins énergétiques de sources propres et renouvelables d'ici 2010. La proposition a recueilli 65% des suffrages. Grande victoire pour les écolos. Toujours en Californie, 60% des électeurs ont approuvé une proposition mettant davantage l'accent sur la réhabilitation plutôt que la prison dans le cas de crimes non violents.

Voyons un peu ce qui se fait ailleurs.

Dans l'État de Washington, les électeurs devaient approuver ou rejeter la légalisation du suicide assisté. Le projet prévoit notamment que l'État ne pourra pas poursuivre les médecins qui aident des patients en ce sens. Cette proposition humanitaire a reçu 59% des suffrages.

En Arizona (l'État de John McCain), les conservateurs fiscaux ont fait inscrire une proposition voulant que toute augmentation de taxes devrait être soumise à l'approbation d'une majorité d'électeurs. Réponse du monde ordinaire: non à 66%.

Les résidants du Colorado devaient se prononcer sur l'abolition des cotisations syndicales obligatoires. Le jour de l'élection, 55% des électeurs ont choisi de maintenir cette mesure. Grande victoire syndicale. Toujours au Colorado, le mouvement provie avait fait inscrire une proposition d'amendement à la Constitution de l'État, pour définir le foetus comme une «personne» dès le moment de la fécondation, une façon d'interdire l'avortement par la porte d'en arrière. Les électeurs ont envoyé promener la droite religieuse en rejetant la proposition à trois contre un.

Parlons aussi du Massachusetts, où 65% des électeurs ont choisi de décriminaliser la possession de petites quantités de marijuana.

Un beau cas est celui de l'Oregon, où un groupe de citoyens a voulu tenir un référendum sur les augmentations de salaire aux enseignants. Les citoyens réclamaient que les hausses devaient être modulées en fonction du rendement en classe, et non plus de l'ancienneté. Comme on s'en doute, les syndicats se sont battus dès le départ pour bloquer la consultation, mais les citoyens ont réussi à réunir assez de signatures pour inclure la question sur les bulletins de vote. Le jour du scrutin, les électeurs ont rejeté la proposition à 60%, donnant un appui très clair aux syndicats d'enseignants.

Ces résultats nous le confirment: au-delà de l'élection de Barack Obama, un immense mouvement de changement est en train de bouleverser les choses au sud de la frontière.