Notre collaborateur Stéphane Laporte blaguait dans sa chronique de dimanche en disant, essentiellement, que c'est une bonne chose que Barack Obama ne passe que six heures au Canada parce que nous, hommes ordinaires, ne pouvons que souffrir en comparaison de ce personnage magnétique.

La même chose a été dite, écrite et commentée à propos de Stephen Harper, qui allait nécessairement paraître bien «drabe» et terriblement désuet à côté de ce jeune président énergique.Eh! bien, non, Stephen Harper n'est pas sorti amoindri ou ridiculisé de cette première rencontre au sommet avec le nouveau président des États-Unis. Au contraire, il a réussi à dissiper le principal doute qui entourait cette visite : Barack Obama peut-il s'entendre avec Stephen Harper et donc établir une relation constructive malgré les différences évidentes dans leur personnalité et dans leurs politiques?

La réponse est oui. La brève visite s'est déroulée rondement. Les échanges ont été apparemment directs et harmonieux. Le gouvernement Harper, comme la ville d'Ottawa, avaient tout mis en place pour que le nouveau président sente bien l'immense capital de sympathie dont il bénéficie de ce côté-ci de la frontière. Et pour qu'il comprenne que nous sommes prêts à le suivre.

Il faut dire que Barack Obama a rendu un fier service à son homologue canadien en disant ce que nous voulions entendre à propos de l'environnement, du libre-échange, de notre effort en Afghanistan, de notre indéfectible amitié envers son pays et même des rigueurs de notre hiver.

M. Obama a même offert à M. Harper des images qui valent de l'or pour un premier ministre en recherche de nouveaux appuis en le prenant par le bras pour l'amener faire un petit salut à la (modeste) foule réunie devant le Parlement.

Le président Obama a aussi rendu service à son hôte en ne disant PAS certaines choses. Par exemple, il n'a pas fait de pression pour que le Canada s'engage à rester en Afghanistan au-delà de 2011, dans une mission revue.

Il n'a pas été question non plus de l'embarrassant cas Omar Khadr, ce jeune Canadien emprisonné à Guantánamo depuis 2002. Le président a annoncé qu'il fermera cette sordide prison pour présumés terroristes d'ici un an, mais il n'a pas abordé la question du seul ressortissant canadien (et dernier ressortissant occidental) qui y est toujours détenu.

M. Obama n'a pas non plus parlé du bilan extrêmement pauvre du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques. Au contraire, il a vanté la valeur d'une approche commune dans cette lutte.

En fait, Barack Obama a écrit le nouveau chapitre de la relation américano-canadienne sur une toute nouvelle page, tournant le dos aux années Bush. Peu importe les liens idéologiques et politiques entre le gouvernement Harper et l'ancienne administration Bush: on efface tout et on recommence.

C'est peut-être là le plus beau cadeau que Barack Obama a apporté hier à Stephen Harper : lui permettre de se dissocier, en une seule petite journée, de son image «bushienne», et ainsi le libérer de son plus grand handicap politique face à ses adversaires.

On jugera, bien sûr, la valeur réelle des nouvelles résolutions du gouvernement Harper à l'aune de ses réalisations concrètes, mais, pour le moment, l'image du premier ministre semble avoir grandement profité d'une relation symbiotique avec le président Obama.

L'effet Obama sur M. Harper est particulièrement spectaculaire dans le domaine de l'environnement.

M. Harper, qui affirmait il y a quelques années que la théorie des changements climatiques était un «complot socialiste» et qui rejetait le protocole de Kyoto, a lancé hier, sans sourciller:  «Les changements climatiques représentent le plus grand défi de la prochaine décennie».

Tout un changement de cap! Pas de doute, les années Bush sont bel et bien terminées pour Stephen Harper.

On s'étonne d'une telle métamorphose de la part du gouvernement conservateur. Et on sourit en entendant dire M. Harper et son ministre de l'Environnement, Jim Prentice, que le Canada peut ENFIN élaborer une stratégie continentale grâce à l'arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche.

Stephen Harper nous a dit pendant des années que Kyoto était néfaste et que son gouvernement élaborerait une stratégie «made in Canada». Voilà maintenant qu'il vante, en duo avec le président Obama, les vertus d'une politique concertée.

(Cela dit, M. Harper devra expliquer dans les prochains jours son étonnante déclaration selon laquelle les politiques de réduction de gaz à effet de serre par cibles d'intensité ou par cibles absolues sont interchangeables, deux approches tout à fait contraires.)

La conversion de Stephen Harper est-elle sincère ou ne fait-il que se coller sur Barack Obama, sachant qu'il risque de se retrouver isolé sur la scène internationale et même devant son propre électorat? Encore là, on le verra aux résultats.

Chose certaine, la métamorphose verte de M. Harper est aussi spectaculaire que sa récente transformation économique, lui qui a délaissé récemment le sacro-saint principe conservateur du libre-marché pour épouser les principes keynésiens de l'interventionnisme d'État.

Hier, en écoutant Stephen Harper aux côtés de Barack Obama, on constatait qu'il ne reste plus grand-chose de conservateur dans son ADN politique.

Harper à CBC, mais pas à la SRC...

Si vous comprenez l'anglais et que vous écoutez le bulletin de fin de soirée de Peter Mansbridge à CBC, vous avez peut-être vu l'entrevue du premier ministre Harper accordée au terme de sa rencontre avec Barack Obama.

Au Téléjournal de Céline Galipeau, toutefois, point de Harper hier soir.

Le bureau de M. Harper a accepté de donner une entrevue à la SRC, mais pas à sa chef d'antenne Céline Galipeau, pourtant l'équivalent de Peter Mansbridge.

Radio-Canada a tenu son bout ; le bureau du premier ministre a annulé l'entrevue.

Mécontent de la couverture de la SRC à Montréal, l'entourage immédiat de M. Harper s'est payé un petit power trip, mais ce faisant, il a d'abord privé le premier ministre d'une belle tribune.

Pourtant, s'il y a une journée où M. Harper avait intérêt de se faire voir au Québec, c'était bien hier.