Du fric, encore du fric. General Motors et Chrysler, les deux constructeurs automobiles les plus en détresse, réclament 21,6 milliards de dollars supplémentaires du gouvernement américain, en plus des 17,4 milliards qu'ils ont déjà reçus en cadeau de Noël.

Et advenant que les États-Unis consentent à ces demandes, le Canada devra leur emboîter le pas s'il souhaite conserver sa place dans l'industrie automobile nord-américaine. C'est l'avertissement sans ambiguïté que ces constructeurs ont réitéré mardi soir, en dévoilant la deuxième ébauche de leurs plans de restructuration grâce auxquels ils espèrent tout simplement survivre.

 

Par exemple, GM «réévaluera l'avenir de sa filiale canadienne, qui ne serait pas viable en tant qu'entité distincte» si l'entreprise n'obtient pas d'ici mars une aide supplémentaire des gouvernements et une entente avec les travailleurs canadiens de l'auto, pour que ses coûts de main-d'oeuvre soient concurrentiels.

De combien d'argent parle-t-on au juste? La somme pourrait atteindre 5 milliards de dollars, étant donné que l'aide doit être proportionnelle au poids de l'industrie canadienne et des sommes allongées par l'Oncle Sam. Et cela, c'est en plus des 4 milliards de dollars que les gouvernements du Canada et de l'Ontario ont déjà versés. Bref, c'est une somme colossale pour des gouvernements qui s'enfoncent à perte de vue dans les déficits.

Au-delà de considérations électoralistes, le jeu en vaut-il la chandelle?

La perspective de venir en aide à des entreprises impotentes qui ont joué à l'autruche pendant des années, alors que le monde changeait à toute vitesse autour d'eux, en hérisse plusieurs, à en juger les commentaires indignés des internautes sur Cyberpresse.

C'est d'ailleurs la décision qu'a prise le gouvernement de la Suède, qui refuse de se porter à la rescousse de Saab, filiale de General Motors depuis 1989. Entreprise suédoise de 60 ans, Saab emploie encore plus de 4100 salariés, la majorité à Trollhattan, dans le sud-ouest du pays.

«Je suis déçue de General Motors, qui abandonne Saab et essaie de refiler la note aux contribuables suédois, ce qui est irresponsable à mes yeux», a dit la ministre suédoise de l'Industrie, Maud Olofsson, sur les ondes de la radio d'État hier.

Jusqu'ici, Ottawa et Queen's Park jouent le jeu de Detroit. Il faut voir que l'industrie automobile est encore plus importante au Canada qu'elle ne l'est aux États-Unis, selon l'économiste Michael Gregory, de la firme Marché des capitaux BMO.

L'industrie représente 1,8% du produit intérieur brut (PIB) réel du Canada, contre 1,1% aux États-Unis. La même différence s'observe dans les salaires, avec 0,9% de la masse salariale au pays, contre 0,6% aux États-Unis. Concrètement, c'est le gagne-pain de près de 129 500 salariés qui se trouve en jeu.

C'est la raison pour laquelle le Canada tend une main généreuse aux constructeurs en détresse. Mais faut-il pour autant les sauver en bloc? En effet, si un constructeur s'éteignait, les autres ne s'en porteraient-ils pas mieux?

Car tous les plans de réorganisation ne sont pas égaux. C'est flagrant lorsqu'on considère les restructurations proposées par GM et Chrysler.

En élaguant des marques, des concessionnaires, des usines et des dizaines de milliers de salariés, GM revient à sa plus simple expression en conservant tout ce qui ne va pas trop mal. Le constructeur promet toutefois de lancer toute une série de voitures vertes.

Bref, GM réclame des milliards pour faire ce qu'il a refusé de faire pendant des années, en dépit du fait que tous les indicateurs auraient dû le pousser dans cette direction. Pour la vision, on repassera.

Le plan de Chrysler, en contrepartie, est beaucoup plus audacieux tout en étant moins coûteux. Il représente une rupture avec le passé, et pour cette raison, il mérite d'être soupesé.

En proposant de s'associer au constructeur italien Fiat, Chrysler fait d'une pierre deux coups. Avec la technologie de Fiat (plateformes, transmissions, moteurs), qui est notamment reconnue pour ses faibles émissions de gaz à effets de serre, le constructeur de la Sebring pourra élargir rapidement sa gamme de petites cylindrées.

Le constructeur de Detroit aura aussi accès au réseau de distribution de Fiat en Europe et en Amérique latine, notamment au Brésil, où Fiat se classe premier avec 18,2% du marché. Pendant ce temps, les Alfa Romeo seront mieux distribuées en Amérique du Nord.

Bien sûr, les fusions sont truffées de difficultés. Même dans les meilleures circonstances, rares sont celles qui réussissent. «Peugeot et Citroën ont mis 20 ans avant de partager leurs plateformes et leurs usines», note Christian Navarre, professeur de gestion à l'Université d'Ottawa.

Cela dit, Chrysler a sans doute tiré quelque enseignement de son expérience malheureuse avec le géant allemand Daimler. Et puis, l'entreprise peut compter sur l'expertise de son premier actionnaire, le fonds d'investissement privé Cerberus.

Chrysler a une vision claire de son avenir. Et si j'étais forcée d'investir mes dollars de contribuable dans l'industrie de l'auto, je miserais sur ce constructeur avant de renflouer GM.

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