Un important dossier publié cette semaine par La Presse montre que la clientèle des écoles de la Commission scolaire de Montréal est en chute libre. Selon les chiffres obtenus par ma collègue Marie Allard, la CSDM a perdu 5500 élèves en quatre ans. Cela représente 7,2% de ses effectifs. Une chute aussi rapide est saisissante.

Dans un document interne, la CSDM attribue ce déclin à la diminution des naissances et à l'exode des jeunes ménages vers la banlieue. C'est certainement vrai. Mais le réseau public doit aussi affronter la concurrence des écoles privées.

 

Dès lors, la question se pose: pour stopper les pertes du secteur public, faut-il abolir les subventions aux écoles privées? C'est, en tout cas, ce que soutient le lobby syndical depuis des années. Selon ce point de vue, l'école publique, qui doit accepter tous les élèves, y compris les cas difficiles, ne pourra jamais rivaliser avec l'école privée, qui choisit les meilleurs élèves, et encore ceux-ci doivent-ils provenir de ménages qui ont les moyens de payer. Ainsi se crée un régime d'éducation à deux vitesses, un pour les riches, un pour les pauvres.

Derrière cet argumentaire se profile l'aversion naturelle de la go-gauche québécoise pour tout ce qui est privé, pouah, la lèpre! Et les plus sectaires d'anathématiser la ministre de l'Éducation, qui ose envoyer ses enfants au privé, comme si c'était un crime...

En fait, si on considère les choses de près, le système québécois comporte de nombreux avantages.

Les subventions aux écoles privées sont assez rares en Amérique du Nord. Au Canada, cinq provinces, dont le Québec (mais pas l'Ontario), subventionnent l'enseignement privé. Aux États-Unis, c'est encore plus clair: d'un côté, il y a des écoles publiques subventionnées par les fonds publics, de l'autre, il y a les écoles privés entièrement financées par les frais de scolarité et les dons. Les États américains ne versent pas un sou, pas un radis, rien, aux écoles privées.

Au Québec, le financement se fait de la façon suivante. En 2008-2009, les subventions au réseau public représentent 6440$ par élève au niveau secondaire. Le gouvernement verse par ailleurs aux écoles privées une subvention correspondant à 60% de la subvention au public, soit 3865$ par élève. La différence est assumée par les parents sous forme de frais de scolarité. Ces frais varient d'un établissement à l'autre; en 2009, la contribution parentale moyenne était de 2512$.

Autrement dit, ce système permet au gouvernement d'épargner 40% des coûts, ce qui représente pour les contribuables une économie annuelle non négligeable de 246 millions.

Ce n'est pas tout. Contrairement à un préjugé largement véhiculé, l'école privée n'est pas réservée aux familles riches. De nombreux ménages à revenus moyens font le choix financier de se priver de 2500$ par année pour léguer à leur enfant une éducation de meilleure qualité. En 2006, 67% des élèves inscrits au privé provenaient de ménages dont le revenu familial total était inférieur à 80 000$. Il y en a même un sur quatre (en fait, 28%) où le revenu familial est inférieur à 60 000$. Nous ne parlons pas ici de millionnaires!

D'autre part, au Québec, un élève doué, mais issu d'un ménage à revenus modestes, peut toujours accéder à l'école privée. Près de 90% des établissements privés ont des fondations qui offrent des bourses ou autres formes d'aide financière. Bon an mal an, environ 5000 élèves (environ un sur 20) profitent de ces programmes.

Voyons maintenant ce qui arriverait si le gouvernement décidait d'abolir les subventions. Les frais de scolarité au secondaire privé passeraient donc de 2500$ à 6400$. Peu de ménages ont les moyens d'absorber un tel choc. Une étude réalisée en 2006 par Denis Massé, professeur en sciences de l'éducation à l'Université de Montréal, indique que seuls les vrais riches pourraient continuer d'envoyer leurs enfants au privé. Selon cette recherche, en l'absence de subventions, 80% des ménages gagnant moins de 110 000$ laisseraient le privé. Même chez ceux dont le revenu dépasse 110 000$, 62% retireraient leur enfant du privé. Concrètement, cela signifierait que le réseau public devrait absorber 100 000 élèves additionnels, et assumer les coûts qui viennent avec.

Quelques écoles privées, la crème de la crème, survivraient au choc, mais n'accepteraient plus que les enfants de familles capables de payer très cher, comme aux États-Unis. Les adversaires des écoles privées au Québec parlent d'un système à deux vitesses. Ils n'ont encore rien vu. Abolissez les subventions, et vous créerez une poignée d'écoles d'élite, réservée aux enfants des plus riches. Il y a certes une façon d'éviter cela: décréter la fermeture de toutes les écoles privées. Mais là, on commence dangereusement à s'approcher des solutions à la soviétique...

Enfin, rappelons qu'il n'y a pas de profil-type de décrocheur. Bon nombre d'entre eux sont des surdoués qui ne se reconnaissent pas dans un système qui privilégie le nivellement par le bas. L'école privée, toute pestiférée puisse-t-elle être aux yeux de certains, offre un enseignement de grande qualité qui convient beaucoup mieux aux surdoués, et contribue de ce fait à freiner le décrochage.