Sur le front de l'emploi, les villes québécoises ont maintenant l'avantage sur leurs concurrentes ontariennes.

Les résultats de l'enquête mensuelle de Statistique Canada sur la population active, publiés hier, montrent, entre autres choses, que le taux de chômage à Toronto, à 7,8%, est exactement le même qu'à Montréal. Ce n'est pas tout: de façon générale, les grandes villes ontariennes sont beaucoup plus gravement touchées par le chômage que les grandes villes québécoises. Même dans les capitales, traditionnellement épargnées, le taux de chômage à Québec est inférieur est celui d'Ottawa. Dans le cas de Québec, cela ne s'explique pas seulement par la forte présence de la fonction publique, mais aussi par la vigueur du secteur des services financiers. En fait, le taux de chômage à Québec est maintenant inférieur à celui de Calgary! Ces chiffres sont importants parce que les grandes villes sont des moteurs de développement économique.

 

Encore plus fort: pour la première fois, le taux de chômage au Québec est inférieur à celui de l'Ontario! Il y a près de 40 ans que je couvre l'actualité économique et financière. Pour moi, ces chiffres sont stupéfiants. C'est simple: jamais je n'aurais cru voir cela de mon vivant.

La performance québécoise arrive à un moment où la planète entière est secouée par la crise que l'on sait. Dans les autres provinces, les emplois disparaissent par dizaines de milliers, et la situation est encore pire aux États-Unis.

Le Québec serait-il donc mystérieusement protégé des perturbations qui agitent le reste du monde?

Hélas! non.

Il serait hautement hasardeux, à partir des chiffres que nous venons de voir, de conclure que le Québec est à l'abri des troubles.

Pour l'instant, c'est vrai: la crise tarde à frapper de plein fouet l'économie québécoise, qui profite ainsi d'un heureux répit. Mais la situation risque de se détériorer au cours des prochains mois. Les exportations aux États-Unis ont déjà commencé à reculer, et continueront de chuter parce que les Américains ne sont pas encore sortis du bois. Les ventes au détail et les mises en chantier baisseront. D'ailleurs, sombre présage, le taux d'activité au Québec, à 65,3%, demeure inférieur au taux ontarien de 67,6%. Le taux d'activité mesure la proportion de la population adulte qui détient un emploi ou est à la recherche active d'un emploi. Plus il est élevé, mieux c'est. Les économistes considèrent que le taux d'activité est un baromètre plus fiable que le taux de chômage.

En fait, si le marché québécois du travail est en meilleure santé qu'en Ontario, ce n'est pas à cause du dynamisme propre de l'économie québécoise, c'est à cause de l'effondrement de l'industrie automobile.

L'ex-premier ministre Bernard Landry, qui est également un des économistes qui se sont le plus intéressés à la question, a démontré en plusieurs occasions que l'essentiel de la différence entre les taux de chômage québécois et ontarien était dû à la présence massive de l'industrie automobile en Ontario.

Plus on tombe de haut, plus ça fait mal

En 1965, les États-Unis et le Canada ont signé le Pacte de l'auto. L'entente instituait un libre-échange total entre les deux pays dans le secteur automobile, y compris les pneus et les pièces. Les résultats ont été spectaculaires. En 1964, avant la signature du pacte, les usines automobiles établies au Canada n'exportaient que 7% de leur production au sud de la frontière; quatre ans plus tard, cette proportion atteignait 60%. Cette hausse a évidemment contribué à la création de milliers d'emploi au Canada, c'est-à-dire en Ontario. À part l'usine de GM à Boisbriand, toute la production canadienne était concentrée dans le sud de l'Ontario, notamment dans des villes comme Windsor et Oshawa, si durement éprouvées par le chômage aujourd'hui.

À l'époque, le marché du travail ontarien a largement profité du Pacte de l'auto. En 1967, le taux de chômage ontarien était de 3,2%, contre 5,1% au Québec. Au pire de la récession de 1981-1982, 10,3% de chômage en Ontario, contre 13,8% au Québec. Même lors de la récession de 1990, 6,3% en Ontario, contre 8,3% au Québec. Il n'y a aucun doute que la présence de l'industrie automobile (et des nombreuses retombées qui viennent avec) explique une bonne partie de ces écarts.

Dans ces conditions, il fallait bien s'attendre à ce que l'Ontario soit une des grandes victimes de la crise automobile. Pour rester dans le même secteur, disons que quand on fait un flat, ça roule mal sur les quatre roues. Ou, comme dirait Bernard Landry: Habet flatum, quadro rotae male rotat.