L'évolution du marché du travail est le meilleur étalon pour suivre l'évolution d'une récession et mesurer sa sévérité. Parce que c'est un indicateur économique précis. Mais surtout parce qu'il porte sur la conséquence la plus dévastatrice d'une récession, en termes humains et sociaux.

Une étude du Groupe Financier Banque TD, dont faisait état hier mon collègue Rudy Le Cours, prévoit qu'il y aura une perte de 323 000 emplois pour l'ensemble du Canada entre la fin de 2008 et la fin de 2009.

 

Ce chiffre a fait sursauter bien des gens. Mais en fait, il ne devrait pas nous étonner. Nous sommes en récession et nous sommes entrés, depuis novembre, dans un cycle de perte d'emplois. Les données de Statistique Canada, publiées ce matin, devraient hélas confirmer ce mouvement.

Les économistes s'attendent depuis quelques mois à ce que le taux de chômage canadien, à 6,1% en 2008, grimpe à 7,5-8,0% en 2009, et un peu plus en 2010. Ce qui correspondrait à une perte de 260 000 emplois. La TD, avec une prévision de 8,1% cette année et 8,8% l'an prochain, se classe du côté des pessimistes. À l'autre extrémité du spectre, le Mouvement Desjardins prévoit une perte de 130 000 emplois.

Mais même avec les prévisions plus pessimistes de la Banque TD, la récession que nous traversons s'annonce bien moins mauvaise que les deux précédentes, celles de 1981 et de 1991. Et la différence est saisissante.

Au Canada, l'emploi, à 11,378 millions en juin 1981, est tombé à 10,763 millions en novembre 1982, une perte de 615 000 emplois. Le taux de chômage est passé de 7,3% à 12,9%, une hausse de 5,6 points.

De juin 1990 à septembre 1992, l'emploi est passé de 13,112 à 12,720 millions, une baisse de 428 000 emplois. Le chômage a bondi de 7,6% à 11,6%, quatre points de plus.

La récession de cette année, avec une hausse du taux de chômage de deux points et, au pire, une perte de 326 000 postes - par rapport à un bassin beaucoup plus important de 17,1 millions d'emplois - est presque trois fois moins sévère que celle de 1981 et une fois et demie moins sévère que celle de 1991.

On peut faire le même exercice pour le Québec. Le taux de chômage, à 7,2% en 2008, devrait monter quelque part entre 8,5% et 8,8% en 2009. Comme le recul, de l'avis unanime, sera moins profond qu'ailleurs au Canada, les pertes d'emplois devraient se situer entre 20 000 et 60 000.

C'est beaucoup. Mais 8,5%, ce n'est pas un chômage de crise. C'est le niveau de 2005, que nous trouvions fort satisfaisant à cette époque pourtant pas lointaine.

Au Québec, la différence avec les récessions de 1981 et 1991 est encore plus frappante. D'août 1981 à août 1982, l'emploi est passé de 2,831 à 2,596 millions, une perte de 235 000 postes. Le taux de chômage a grimpé de 9,6% à 15,8%, 6,2 points de plus.

En 1990, le processus a été plus lent. L'emploi est passé de 3,167 millions en juin 1990 à 3,018 millions en avril 1993, une perte de 149 000 emplois. Le taux de chômage est passé de 9,6% à 14,2%.

Je ne veux pas minimiser ce qui se passe. La récession que nous traversons est sévère. Des gens perdront leur emploi par milliers. Chaque fois, c'est un drame. Mais il ne faut pas oublier l'autre côté de la médaille. Une augmentation du chômage de 1,5 point de pourcentage, ça veut aussi dire 98,5% de ceux qui ont un emploi le garderont. Et que 91,3% des travailleurs travailleront, malgré la récession.

Ce qui fera le plus de dommages dans cette récession, ce ne sont pas les pertes d'emploi, relativement limitées dans les circonstances. Mais l'incertitude, l'épée de Damoclès, la peur de perdre son job.