Le projet de commémoration de la bataille des plaines d'Abraham continue de susciter la controverse. L'opposition à l'initiative de la Commission des champs de bataille nationaux est vive et répandue. Cela ne la rend pas plus justifiée. En effet, cette opposition repose sur des mythes et sur des informations incomplètes.

On ne fête pas une défaite, a-t-on beaucoup dit. Ce n'est pas la Commission qui a décidé de «fêter» la victoire du général Wolfe; ce sont ses critiques qui lui ont prêté cette intention. Sur son site web, l'organisme fédéral ne parle nulle part de fête. Il y est plutôt question de «ne pas oublier ces événements historiques marquants». La commémoration ne porte d'ailleurs pas seulement sur la bataille des plaines mais aussi sur celle qui a eu lieu à Sainte-Foy quelques mois plus tard, gagnée celle-là par les Français.Une défaite? Une résolution adoptée par les militants du Bloc québécois samedi affirme que la bataille des plaines d'Abraham «explique encore aujourd'hui notre cheminement vers la souveraineté». Dans l'esprit de beaucoup de Québécois, la Nouvelle-France était destinée à devenir un état francophone indépendant en Amérique; la victoire de Wolfe serait venue saper ce rêve. Cette vision fait abstraction de ce qu'était vraiment le Canada de l'époque: une colonie pauvre, spoliée par ses gouvernants français. Une colonie marginale dont le retard démographique, économique et politique par rapport à l'Amérique anglaise s'accroissait d'année en année. «L'agriculture languit, la population diminue», déplorait le marquis de Montcalm. Ce Montcalm qui méprisait ouvertement les miliciens canadiens à son service.

Si le bon marquis avait gagné, l'avenir du Canada français, son éventuelle indépendance n'aurait-elle pas été assurée? Rien n'est moins certain. Qu'a fait Napoléon de la Louisiane? La Guadeloupe et la Martinique, que le traité de 1763 redonnait à la France, ne sont-elles pas encore aujourd'hui, 246 ans plus tard, sous la tutelle de Paris?

Certains s'élèvent contre la reconstitution d'un événement aussi tragique qu'une guerre. On peut trouver la chose de bon ou de mauvais goût mais il n'y a pas là matière à indignation. Les reconstitutions de grandes batailles sont choses communes. La bataille de Gettysburg (1861, 50 000 morts) est recréée chaque année, tout comme celle de Waterloo (1815, 63 000 morts).

Il y a 10 ans, quelques centaines de résidants de Québec ont participé à une reconstitution de la bataille des plaines d'Abraham, à l'occasion du 240e anniversaire de l'affrontement. Le Parti québécois était alors au pouvoir mais les archives ne gardent aucune trace d'une quelconque controverse.

En 2001, le premier ministre, Bernard Landry, a participé à une cérémonie à l'occasion du déménagement des restes de Montcalm dans un nouveau mausolée. À l'issue de cet événement haut en couleur, M. Landry déclarait: «Nous commémorons une guerre qui a brutalement changé le cours de notre destin collectif et celui de tout le continent américain.» Pierre Falardeau ne s'est pourtant pas emporté contre cette commémoration de «l'acte de fondation de notre malheur».

Ce rappel des faits montre bien que la présente controverse n'a pas lieu d'être. Il n'y a pas de raison de s'élever contre la commémoration des batailles des plaines d'Abraham et de Saint-Foy, sinon à des fins politiques contemporaines. Il faut plutôt souhaiter qu'à la faveur des fouilles archéologiques, expositions, reconstitutions et colloques prévus, les Québécois auront l'occasion d'enrichir leur connaissance de l'histoire. Une histoire qu'inévitablement, chacun continuera à voir à travers son prisme politique.