Il faut une certaine distance pour apprécier une oeuvre d'art. Cette distance a été impossible à trouver lors du visionnement du film Polytechnique, qui doit prendre l'affiche le 6 février prochain. Le film n'a fait que réveiller des souvenirs douloureux. Pour ceux qui, comme l'auteure de ces lignes, étaient étudiants à l'université au moment de la tuerie, Poly fut le premier événement marquant de notre jeune vie adulte. Celui qui est venu ébranler les murs rassurants de l'université, notre refuge, notre seconde demeure.

Il n'est pas question ici de critiquer la pertinence du film. Une oeuvre est pertinente dès que l'idée naît dans l'esprit de son créateur. Denis Villeneuve n'a donc pas à se justifier. Sa démarche, de toute façon, est irréprochable.

La question se trouve plutôt du côté du public, des cinéphiles. Pourquoi irait-on voir ce film? Qu'est-ce qui pourrait bien pousser quelqu'un à revivre des émotions aussi bouleversantes?

Dans le dossier de presse remis aux journalistes, Villeneuve écrit que son film est une tentative de consolation. Quelqu'un trouvera-t-il du réconfort dans ces images qui, c'est étrange à dire, sont quasi familières, comme si le cinéaste avait déterré des souvenirs refoulés, comme s'il avait eu accès à notre cinéma intérieur? Difficile de savoir comment chacun réagira.

Il arrive aussi qu'une oeuvre d'art puisse nous aider à mieux comprendre un événement. Mais dans le cas du meurtre de ces 14 jeunes femmes, qu'y a-t-il à comprendre? Rien. Absolument rien.

Qui sait, peut-être que ce film permettra aux plus jeunes, ceux qui n'ont aucun souvenir de cette terrible soirée de décembre, il y a 20 ans, de se «connecter» à un événement qui a profondément blessé le Québec. Peut-être que ceux et celles qui n'étaient que des enfants ce jour-là regarderont Polytechnique avec la même objectivité que nous avions en regardant Elephant, l'excellent film de Gus Van Sant sur la tuerie de Columbine. Encore une fois, tout est une question de distance.