Dans la petite encyclopédie non officielle des anecdotes les plus savoureuses de la tribune parlementaire d'Ottawa, il y a celle de ce journaliste québécois qui s'était un jour planté devant l'ancien premier ministre Joe Clark, tout juste à sa sortie d'avion, pour lui poser cette question transcendante : Pis?

Ce matin, quand le chef libéral Michael Ignatieff sortira de la réunion de son caucus, les journalistes pourraient se servir de la formule, «Pis?», puisque tout ce que le pays voudra savoir à ce moment, c'est s'il entend ou non renverser le gouvernement.

Résumons : Michael Ignatieff ne souhaite clairement pas d'élections, ce dont les Canadiens ont autant besoin que d'un «trou dans la tête», a-t-il dit la semaine dernière.

Par ailleurs, tout le monde sait que le nouveau chef libéral n'est pas chaud à l'idée de ranimer la coalition avec le NPD et soutenue par le Bloc québécois.

Tard hier soir, Michael Ignatieff n'avait toujours pas parlé à son éventuel partenaire de coalition, le chef du NPD, Jack Layton. Ni à Gilles Duceppe. Les chefs bloquiste et néo-démocrate se sont toutefois parlé.

Cela ne laisserait donc qu'une possibilité aux libéraux : s'asseoir sur leurs mains et laisser passer le budget Flaherty, en s'appropriant la paternité de ces éléments positifs et en rejetant tout le reste.

Devant les nombreuses concessions honorables faites par le gouvernement Harper, devant ce budget plus libéral que conservateur, les libéraux pourraient ne pas s'y opposer sans se déshonorer. Surtout qu'ils savent fort bien que les électeurs ont la tête à la crise économique, pas aux grandes joutes politiques.

Seulement voilà, ce n'est pas aussi simple. Michael Ignatieff, dont c'est le premier test comme chef, doit manoeuvrer pour préserver l'unité de son caucus. Or ce caucus, réuni hier soir et qui doit se rencontrer de nouveau ce matin, éprouve un grand «malaise» par rapport à ce budget, résument des sources libérales.

Il se trouve aussi dans ce caucus des députés qui étaient de farouches partisans de la coalition avec le NPD et le Bloc québécois.

À force de se faire dire par leurs électeurs de «mettre les conservateurs dehors», ces députés insisteront sans doute pour que cela se fasse le plus rapidement possible, en confiant le pouvoir à la coalition.

Mieux vaut prendre le pouvoir tout de suite, même avec le NPD et grâce au soutien du Bloc, que de laisser le gouvernement Harper prendre du mieux avec ce plan de sauvetage qui, si imparfait soit-il, pourrait fonctionner.

Il y a aussi le «facteur ontarien» à prendre en considération dans la réaction libérale. Les députés libéraux de l'Ontario, majoritaires au sein du caucus, voient bien que le gouvernement Harper s'est rapproché du gouvernement ontarien et que le grand soin apporté à la province (l'aide au secteur de l'auto et l'agence de développement du sud de l'Ontario) pourrait être rentable électoralement pour les conservateurs. Pourquoi leur laisser le temps de cueillir les fruits d'une éventuelle reprise?

Sans compter que les libéraux subiront les sarcasmes et les attaques du Bloc et du NPD, qui les accuseront d'avoir sauvé le gouvernement Harper. Pas très bon pour la future campagne électorale.

D'un autre côté, la stratégie de laisser passer ce budget se défend aussi.

Les libéraux ont besoin de temps pour se réorganiser. Rien ne garantit que la situation économique s'améliorera aussi rapidement que l'affirment les conservateurs. Si les prévisions du gouvernement sont trop roses, comme le disent les libéraux, ceux-ci pourront toujours le leur remettre sur le nez au prochain budget, l'an prochain. D'ici là, rien n'empêche Michael Ignatieff de maintenir la pression sur le gouvernement en formant un comité de suivi budgétaire formé de ses meilleurs députés.

Du côté des deux autres partis de l'opposition, le Bloc québécois et le NPD, pas de surprise. Comme prévu, c'est un rejet complet et expéditif.

En entrevue à la radio de Radio-Canada, hier en fin d'après-midi, Gilles Duceppe avait tellement de points négatifs à soulever qu'il avait du mal à reprendre son souffle! En toute logique, Gilles Duceppe ne peut pas accepter ce budget, qui consacre l'ère glaciale entre le gouvernement fédéral et celui du Québec.

Par où commencer? Par la péréquation, par la commission des valeurs mobilières canadienne, par le manque d'argent pour le secteur manufacturier et l'industrie forestière, par la faiblesse du plan en environnement? (Pauvres députés et ministres conservateurs du Québec qui vont devoir «vendre» ce budget dans les médias au cours des prochains jours!)

Contrairement à Michael Ignatieff, Gilles Duceppe, lui, croit que la coalition est la meilleure solution.

Avouez qu'il y a quelque chose d'ironique, tout de même, à voir le chef du Bloc québécois faire tant d'efforts pour donner un meilleur gouvernement aux Canadiens...