Il faut maintenant poser la question. Mais qui donc, chez le Canadien de Montréal, bloque Émile Bouchard? Qui refuse obstinément qu'on retire son chandail avant sa mort?

Qui juge que le grand capitaine du Tricolore, membre à trois reprises de la première équipe d'étoiles et une autre fois de la deuxième, intronisé au Temple de la renommée dans les années 60, gagnant de la Coupe Stanley en 1944, 46, 53 et 56 et défenseur de ses coéquipiers sur et en dehors de la patinoire, n'est pas digne de ce grand honneur qu'on a accordé à Serge Savard, Bob Gainey, Dickie Moore et plusieurs autres?

J'ai pris du temps à me rallier aux efforts de Jean Bouchard, le fils d'Émile, et de Ron Fournier. J'attendais d'avoir en main des documents me racontant l'histoire de Butch Bouchard avant d'aller plus loin. Les historiens ont fait leur travail (et le mien) et je présume que les membres du comité fantôme, qui ont élu Gainey, Robinson et les autres, ont obtenu les mêmes documents historiques.

C'est clair et net. Sans appel. Émile Bouchard, défenseur dominant de son époque, ancien président des Royaux de Montréal et ancien homme d'affaires, ancien et toujours nationaliste fier de sa race et des siens, mérite d'être honoré.

Mais qui le bloque? Qui est assez entêté pour laisser commettre pareille injustice?

Ce n'est pas Bertrand Raymond ni Yvon Pedneault, deux journalistes membres du Temple de la renommée. «On nous a demandé notre opinion quand ils ont décidé de retirer des chandails, mais je n'en ai plus entendu parler», confiait Bertrand Raymond, dimanche soir.

Selon ce qu'on m'a dit, ce n'est pas Red Fisher non plus. Le vétéran chroniqueur a vu jouer Bouchard en fin de carrière, mais il soutient ne pas avoir plus d'influence que ses confrères consultés comme lui.

Il y a des rumeurs qui pointent vers Jean Béliveau. Quand Irving Grundman a perdu Pierre Bouchard aux Capitals de Washington, à la fin des années 70, Émile Bouchard avait eu des mots durs envers Béliveau, alors vice-président du Canadien. Mais c'était dans le feu de l'action, alors que la famille Bouchard vivait dans le tourbillon de cette transaction ratée entre le Canadien et les Capitals. Jamais je ne croirai que Béliveau a pu jouer un rôle négatif dans cette affaire par rancune.

Et puis, dans le fond, qui donc a pris les décisions dans cette histoire de chandails retirés? Ray Lalonde, le vice-président au marketing, Pierre Boivin et George Gillett? Qui d'autres? À ce que je sache, ce sont eux qui ont tout fait pour qu'on retire le chandail de Patrick Roy. Ils n'ont pas consulté ni journalistes, ni fans, ni historiens. Dans le cas de M. Bouchard, qui a décidé qu'il était indigne qu'on l'honore? Gillett? Boivin? Ou les deux?

J'espère en tous les cas que ce n'est pas une vulgaire histoire d'ego. Un observateur averti de la Flanelle m'expliquait, hier, qu'on refusera maintenant de perdre la face devant Ron Fournier. Même si on était convaincu qu'il y a eu une injustice et qu'on devrait lever le numéro 3 au plafond du Centre Bell. «Ron Fournier a trop poussé. Les grands dirigeants du Canadien ne peuvent plus reculer. Ils donneraient l'impression de céder sous les coups de gueule d'un animateur de radio. C'est très malheureux, mais c'est ma lecture des choses», de me dire cet ancien de l'organisation.

Je vais mettre les choses au clair. Je n'écris pas cette chronique pour exercer une pression supplémentaire. Je ne veux pas qu'on dise que j'aurais pu exercer une influence quelconque si MM. Boivin et Gillett décidaient de réparer une injustice. Je m'en fous. Ce que je souhaite de tout mon coeur, c'est qu'un homme droit et fier, même si la vieillesse et une blessure le confinent à un fauteuil roulant, qu'un homme droit et fier qui fut capitaine du Canadien, soutien moral des joueurs à une époque où les propriétaires avaient tous les droits et tous les pouvoirs, qu'un homme droit et fier qui fut membre de la première équipe d'étoiles à trois reprises, soit honoré comme il le mériterait.

Sinon, il faudra bien finir par le découvrir: qui donc bloque Émile Bouchard?

DANS LE CALEPIN - Je voudrais apporter une correction à ma chronique de dimanche sur Émile Bouchard. Ace Bailey a été blessé en 1932 par Eddie Shore, mais le match des Étoiles fut présenté pour ramasser des fonds pour lui et sa famille parce qu'il ne pouvait plus jouer. Il est mort en 1992.