Jacynthe Côté vient de décrocher le job de rêve: grand patron d'Alcan. Elle obtient toutefois cette promotion au moment où la société mère du producteur d'aluminium, Rio Tinto, traverse un cauchemar financier.

Jacynthe Côté vient de décrocher le job de rêve: grand patron d'Alcan. Elle obtient toutefois cette promotion au moment où la société mère du producteur d'aluminium, Rio Tinto, traverse un cauchemar financier.

À 50 ans, Jacynthe Côté est la première femme à diriger Rio Tinto Alcan, une entreprise avec un chiffre d'affaires de 15 milliards US et un effectif de 26 600 employés. Mais cela, c'était avant les dernières coupes...

Avant elle, Cynthia Carroll aurait pu prétendre à ce poste. Comme Jacynthe Côté, elle présidait la division Métal primaire, la plus importante de l'entreprise. Mais Cynthia Carroll a quitté Alcan à la fin de 2006 pour prendre la tête du géant minier Anglo American quelques mois après la nomination de l'Américain Richard "Dick" Evans comme chef de la direction.

Jacynthe Côté s'est taillé une place dans un univers de gars. Diplômée de l'Université Laval, cette chimiste est entrée au service d'Alcan en 1988, comme analyste de procédés à l'usine Vaudreuil au Saguenay.

Elle connaît bien la région. Jacynthe Côté est née à Normandin, un village de 3500 habitants à 25 kilomètres au nord-ouest du lac Saint-Jean.

«Ayant grandi avec cinq frères au Saguenay, Jacynthe Côté a développé une certaine habileté à se défendre et à faire sa place», note Dick Evans qui, à 61 ans, entrevoit la retraite, même s'il continuera de siéger à quelques conseils, dont celui d'AbitibiBowater.

Jacynthe Côté n'accordera aucune entrevue avant son entrée en fonction, le 1er février. Cette dirigeante qui ne court pas après les micros s'est rarement livrée à pareil exercice. La visibilité de cette femme, qui s'habille sobrement, est inversement proportionnelle à ses responsabilités; aucune femme d'affaires québécoise n'a plus de responsabilités sur ses épaules.

Il faut dire que Jacynthe Côté se trouve toujours entre deux avions, à visiter l'une ou l'autre des 45 usines et centrales de Rio Tinto Alcan dans le monde, tandis que son mari s'occupe de leurs trois enfants. Ses temps libres, elle les passe en famille.

Jacynthe Côté a déjà connu trois cycles baissiers avec plus de 20 années d'expérience chez Alcan. Ce bagage lui permettra de faire face à la chute de 36% du prix de l'aluminium au London Métal Exchange en 2008. Ou à la hausse des stocks, qui ont touché un sommet de 14 ans, selon l'agence Bloomberg, en raison de la chute de la demande pour les voitures et les appareils électroménagers.

«Son défi sera de conserver les projets de développement les plus prometteurs en vie», note Dick Evans.

Si tous les groupes miniers font face à la chute abrupte des cours des métaux, à preuve Alcoa, qui a dévoilé hier sa première perte en six ans (lire le texte de mon collègue Stéphane Paquet en page 2), Rio Tinto est particulièrement vulnérable depuis son achat d'Alcan pour la somme de 38,1 milliards US en espèces sonnantes.

Ainsi, l'achat d'Alcan au prix fort, en octobre 2007, explique le gros de la dette de 38,9 milliards US que Rio Tinto traîne comme un boulet. Heureusement, le financement du consortium bancaire a été conclu en des temps meilleurs, à des conditions que l'on jugerait aujourd'hui avantageuses. Mais Rio Tinto risque d'avoir du mal à respecter ses échéances.

L'entreprise anglo-australienne n'arrive pas à se délester des divisions des emballages et des produits usinés, pourtant à vendre depuis deux ans. Or, dans le contexte actuel, mettre en vente des morceaux du groupe équivaut à les brader.

Rio Tinto doit rembourser 8,9 milliards US d'ici octobre prochain. Puis, l'entreprise devra dénicher un autre 10 milliards d'ici octobre 2010. L'ennui, c'est qu'il n'y a toujours aucune reprise économique en vue qui propulserait les cours et, par ricochet, les revenus.

Dans le contexte, Jacynthe Côté n'aura pas une grande marge de manoeuvre. Dès le départ, elle sera appelée à piloter Rio Tinto Alcan avec un pied sur le frein, ce qui ne manquera pas d'être frustrant.

En effet, la suspension récente du projet d'agrandissement de l'aluminerie d'Alma et du développement au Québec de la technologie d'électrolyse AP-50 sont la conséquence directe des difficultés financières de Rio Tinto. L'entreprise vient de couper de moitié ses investissements pour l'année, de 9 à 4 milliards US.

Or, Alcan comptait justement sur ces investissements pour être à la pointe et distancer la concurrence d'ici quelques années. À la place, Rio Tinto Alcan court le risque de compromettre son avenir.

Dans le contexte, la promotion remarquable de Jacynthe Côté prend un peu les allures d'un cadeau empoisonné.