Petite confession: je n'aime pas beaucoup les bilans de fin d'année. Ces textes ressemblent trop souvent à des exercices imposés en mal d'inspiration. D'ailleurs, j'ai discrètement sauté mon tour ces dernières années.

Pas en 2008. Cette année a été une année si extravagante qu'on est à court de superlatifs pour la décrire. Une année folle sans aucune fête, qui se précipite dans la récession. Une année qui ne décélère pas, même dans ses derniers moments, alors que nous sommes tous suspendus à ces décisions prises en haut lieu.

Les constructeurs auto de Détroit auront-ils assez des 17,4 milliards US offerts par Washington en prêts-relais? Le papier commercial contaminé au Canada aura-t-il vraiment une seconde vie?

C'est l'année où tout a basculé et pourtant, 2008 a étonnamment commencé comme elle se termine, sur de spectaculaires histoires de fraudes qui ont laissé leurs victimes abasourdies devant la magnitude et la grossièreté des stratagèmes. Alors que le courtier Bernard Madoff vient de se barricader dans son appartement de luxe à New York, assigné à résidence, Vincent Lacroix, lui, s'est fait montrer la direction de la prison en janvier. Douze années réduites à huit et demie, en attendant que s'ouvre le procès criminel, là par où la justice aurait dû commencer.

Ces deux histoires sont à l'image de cette année où le mot confiance a perdu son sens. Avec la faillite des autorités réglementaires, de confiance il n'y a plus, et qui s'en étonnerait? Résultat: les institutions financières hésitent à prêter, les investisseurs, à revenir en Bourse, les entreprises, à poursuivre leurs projets d'expansion.

Les signes d'alarmes se multipliaient déjà en 2007. Les hypothèques à haut risque et la chute du prix des maisons n'ont pas fait bon ménage. Ces hypothèques ont contaminé les produits financiers structurés puis toute la chaîne alimentaire du secteur financier, jusqu'à ce que la crise qui couvait n'éclate au grand jour, en août.

Début 2008, on croyait encore que cette crise du crédit pourrait se limiter au secteur financier et qu'elle ne déborderait pas sur l'économie réelle. On s'est longtemps demandé, aussi, si ces problèmes qui partaient des États-Unis se propageraient aux économies de l'Asie, qui étaient elles en feu.

Les optimistes se sont rapidement ravisés.

La crise a pris des allures de débâcle à la mi-septembre, lorsque la Maison-Blanche, qui avait été fortement critiquée pour son sauvetage de la banque d'affaires Bear Stearns, a laissé choir la firme Lehman Brothers. Le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, a fait le calcul que Wall Street survivrait à la chute de la plus petite des banques d'affaires.

Mais en sous-estimant le haut degré d'interdépendance du secteur financier, la Maison-Blanche s'est complètement fourvoyée. Lehman a aggravé les problèmes de l'assureur A.I.G. et menacé d'emporter avec elle les firmes Goldman Sachs et Morgan Stanley.

À la fin, les banques d'affaires, ébranlées jusque dans leur fondement, ont perdu l'indépendance qui faisait leur fierté. Des banques traditionnelles aux reins plus solides les ont avalées. Et avec la mort des banques d'affaires une page d'histoire s'est tournée.

L'actualité d'affaires n'a pas été moins dramatique de ce côté-ci de la frontière. La crise du crédit aura finalement eu raison de l'achat de la société de télécommunications BCE. Cette mégatransaction de 51,7 milliards, conclue en juin 2007, au plus fort de la vague des fusions et des acquisitions, était presque devenue anachronique, alors que les sources de crédit peu coûteux se sont taries. On peut donc dire que les détenteurs d'obligations à long terme, qui ont retardé la conclusion de la transaction en la contestant devant les tribunaux, auront fini par gagner leur cause à l'usure. Alors que les actionnaires de BCE sont inconsolables, qui se soucie encore, à l'extérieur des facultés de droit et des firmes d'avocats, des devoirs des administrateurs en cas de vente, la question au coeur des délibérations devant la Cour suprême?

BCE n'est pas la seule entreprise québécoise à avoir connu une année éprouvante. Plusieurs vedettes du Québec inc. ont été malmenées, que l'on songe au Groupe Jean Coutu, au fabricant de jouets Mega Brands ou à la firme de services de sécurité Garda, cette grenouille qui voulait être un boeuf.

Ces entreprises emporteront avec elles leurs problèmes en 2009. Par exemple, on ne voit toujours pas comment le Groupe Jean Coutu réussira à recréer de la valeur avec son important investissement dans la chaîne américaine Rite Aid, même si le détaillant de Longueuil semble croire que le pire est passé. Ou comment Garda se délestera de sa lourde dette à moins de s'amputer.

Jean Coutu peut peut-être se consoler du fait qu'une entente soit intervenue in extremis hier pour sauver le papier commercial adossé à des actifs qui avait été vendu par des boutiques indépendantes dont les arrières n'étaient pas assurés. Des titres à long terme, c'est toujours mieux que du papier commercial qui ne vaut plus rien.

Mais c'est surtout la Caisse de dépôt et placement du Québec qui doit pousser un énorme soupir de soulagement. La Caisse possède pour 12,6 milliards de dollars de ce papier. Un échec aurait laminé ses résultats financiers pour 2008, qui souffrent déjà de la chute abrupte des marchés boursiers et immobiliers.

Il reste que la Caisse termine son année sans son nouveau président Richard Guay, dont la nomination avait été dévoilée en septembre au terme d'un long processus de sélection. Surmené, Richard Guay se trouve en congé de maladie.

D'ailleurs, on ne peut qu'être épaté par le sens de l'à-propos d'Henri-Paul Rousseau, qui a écouté le chant des sirènes de Power Corporation. Que de soucis s'est-il épargné.

Alors que 2008 achève, tout n'est pas complètement noir. La chute abrupte des cours du pétrole et des matières premières a fait culbuter le dollar canadien. Si la chute du huard ne se fera pas immédiatement sentir sur les commandes de clients mal en point, elle rétablira au moins les marges de profit en attendant que l'économie ne redémarre.

En 2008, on se console comme on le peut.