Pierre Karl Péladeau fait face à un dilemme qui n'est pas sans rappeler celui auquel était confronté Laurent Beaudoin il y a quelques années, lorsqu'il s'est résigné à céder le contrôle de la division patrimoniale des motoneiges Bombardier à un fonds d'investissement privé américain.

Pierre Karl Péladeau fait face à un dilemme qui n'est pas sans rappeler celui auquel était confronté Laurent Beaudoin il y a quelques années, lorsqu'il s'est résigné à céder le contrôle de la division patrimoniale des motoneiges Bombardier à un fonds d'investissement privé américain.

Quebecor doit-il se départir de ses imprimeries, l'ancien joyau de l'empire auquel son père et lui ont longtemps consacré le gros de leurs énergies?

Car si Pierre Péladeau s'est lancé en affaires en achetant le Journal de Rosemont, en 1950, c'est comme imprimeur qu'il s'est fait une réputation de grand businessman.

À son décès, en 1997, les imprimeries rapportaient d'ailleurs l'écrasante majorité des revenus de Quebecor (près de 70%). C'est encore le cas aujourd'hui, même si les profits, eux, ne suivent plus.

Et même si on parle davantage des succès de Vidéotron en téléphonie résidentielle ou de l'émission Le banquier de TVA.

En achetant le câblodistributeur Vidéotron, Pierre Karl Péladeau a mis Quebecor à «l'heure des communications», comme dans la chanson de Jean Leloup. Il n'empêche qu'il a d'abord fait ses classes dans les imprimeries.

C'est lui qui a négocié en 1990 l'achat des imprimeries américaines de Maxwell Graphics, qui a propulsé les Imprimeries Quebecor au deuxième rang en Amérique du Nord. C'est lui qui est parti s'établir en Europe - où il avait étudié la philosophie - pour bâtir de zéro la division imprimerie.

Est-ce pour cette raison que Quebecor a mis autant de temps à se départir de ses imprimeries européennes, les moins rentables?

Est-ce pour cette raison qu'il a refusé d'envisager jusqu'ici la vente pure et simple des imprimeries, comme vient de le suggérer avec un certain retentissement l'analyste Adam Shine de la Financière Banque Nationale?

Avec le retrait en catastrophe d'un plan de refinancement cette semaine, le statu quo n'est toutefois plus une option. Le conseil d'administration de Quebecor World, présidé par Brian Mulroney, qui est décidément bien accaparé par les temps qui courent, le sait pertinemment.

Il est en voie de recruter des conseillers indépendants pour évaluer les avenues qui s'offrent à l'entreprise. Tout est sur la table: refinancement à une date ultérieure, vente de nouvelles imprimeries, privatisation, fusion, etc. Tout sauf le temps.

Car la position financière de Quebecor World est dramatique. Au 30 septembre, sa dette à long terme s'élevait à 2,2 milliards de dollars américains, tandis que sa dette totale frisait les 2,8 milliards.

Or, l'entreprise brûle plus d'argent qu'elle n'en reçoit (sortie nette de fonds 82 M$ US au dernier trimestre et de 12 millions depuis le début de l'année). Avec l'effondrement du dollar américain et le ralentissement aux États-Unis, le principal marché de Quebecor World, la situation ne semble pas sur le point de s'inverser.

Ainsi, Quebecor World a de plus en plus de mal à faire face à ses obligations. La société était d'ailleurs sur le point de se trouver en défaut des clauses de couverture minimale rattachées à ses financements, mais les banquiers se sont encore une fois montrés accommodants, moyennant des taux d'intérêt encore plus élevés...

Or, Quebecor World fait face à trois échéances au cours de la prochaine année. Elle doit racheter pour 175 millions US d'actions privilégiées (Séries 5) d'ici le 1er mars, à défaut de quoi ces quelque 7 millions de titres pourraient être convertis en actions ordinaires, ce qui diluerait significativement la position de tous les actionnaires actuels, dont Quebecor inc.

Elle doit rembourser en partie sa marge de crédit de 750 millions de dollars américains de sorte qu'elle revienne sous la barre des 500 millions d'ici juillet.

L'entreprise a tiré près de 650 millions dessus ou 550 millions si on inclut le produit de la vente de sa division européenne.

Elle doit aussi racheter pour 200 millions de billets d'ici le 15 novembre 2008.

Que faire? Tenter un autre refinancement plus tard? Rien n'indique que les marchés financiers seront plus réceptifs d'ici quelques mois.

Le nouveau président Wes Lucas aurait dû y penser avant, à l'époque toute récente où le risque n'effrayait plus personne!

Céder d'autres imprimeries à la pièce? Pas très intéressant en ce moment. Quebecor serait contrainte de les brader, vu les perspectives peu reluisantes du secteur.

Pierre Karl Péladeau le sait fort bien, lui qui a bâti Quebecor World en rachetant de façon opportune des imprimeurs en difficulté.

Reste une transaction de plus grande envergure avec un opérateur qui pourrait dégager des économies d'échelle et rentabiliser l'affaire.

Surtout que Quebecor World a été laminée en Bourse, ayant perdu plus de 70% de sa valeur au cours du dernier mois. À près de 2,50$, c'est pas cher comme on dit - si on fait abstraction de ce petit «détail» qu'est la dette.

Cela ouvre néanmoins la porte à de plus petits imprimeurs comme Transcontinental et Consolidated Graphics, pas seulement à un géant comme RR Donnelley qui pourrait inquiéter les autorités antitrust.

En entrevue à la télé cette semaine, Michel Nadeau, l'un des principaux architectes de l'achat de Vidéotron par Quebecor, du temps qu'il travaillait à la Caisse de dépôt et placement du Québec, rêvait tout haut d'un mariage des deux grands imprimeurs québécois. Vaut sans doute mieux vivre d'espoir.

Parce que les autres scénarios sont beaucoup plus déprimants. Et après la vente d'Alcan à Rio Tinto, personne n'a envie d'écrire la chronique nécrologique de l'ancien joyau de Pierre Péladeau. En tout cas pas moi.