Le ministre Bernier est convaincu que l'accélération de la déréglementation dans le secteur de la téléphonie locale n'aura que des avantages.

Le ministre Bernier est convaincu que l'accélération de la déréglementation dans le secteur de la téléphonie locale n'aura que des avantages.

Venant d'un gouvernement qui préfère laisser libre cours aux forces du marché, il n'y a pas de quoi s'étonner.

Mais, une fois la doctrine conservatrice mise de côté, rien ne garantit que les changements préconisés par le ministre fédéral de l'Industrie auront les vertus que lui attribue le décret déposé lundi.

"La concurrence fondée sur les installations est une forme durable de concurrence qui offrira les meilleurs avantages aux consommateurs, qui discipline le marché et renforce l'investissement dans l'infrastructure des télécommunications."

Pour bien comprendre de quoi il s'agit, une petite mise en contexte s'impose. En 1997, le gouvernement fédéral ouvrait le secteur de la téléphonie locale à la concurrence.

Malgré cette invitation, les nouveaux acteurs se faisaient rares. La donne a changé avec l'arrivée de la téléphonie IP, une technologie à la portée des câblodistributeurs. Les consommateurs pouvaient enfin espérer qu'émerge une réelle concurrence dans la téléphonie locale.

Mais pour ça, il fallait s'assurer que les anciens monopoles n'étoufferaient pas cette concurrence naissante. C'est l'objectif qui a guidé les décisions du CRTC lorsqu'il a eu à statuer sur la téléphonie IP.

Les nouveaux arrivants étaient exempts de réglementation, alors que les anciens monopoles devaient continuer à observer les règles imposées. Il y aurait déréglementation lorsque, dans un marché donné, les anciens monopoles auraient perdu 25 % de leur part.

Cette décision a soulevé la colère de Bell et de Telus qui sont partis en campagne pour la faire renverser. C'est ce que vient de faire le ministre Bernier, discréditant du coup le CRTC.

Le gouvernement propose plutôt un critère qui met l'accent sur une infrastructure concurrentielle. En clair, pour le marché résidentiel, ça signifie que partout où un ancien monopole, un câblodistributeur offrant de la téléphonie IP et un fournisseur de services sans fil sont présents, la réglementation disparaît.

Cette décision accélère la déréglementation. Prenons l'exemple de Montréal. Selon les dernières données publiées en juillet dernier par le CRTC, les nouveaux arrivants détenaient 13% du marché de la téléphonie locale en 2005.

Selon les experts, le seuil du 25% aurait été atteint en 2008. Avec les nouveaux critères, la déréglementation pourra survenir dès l'été prochain.

Les anciens monopoles ont donc gagné un an dans les centres urbains. En quoi cette année change-t-elle la donne au chapitre des investissements dans les infrastructures de télécommunications, comme le prétend Ottawa?

Cela reste une énigme. Ce qui est clair cependant, c'est que Bell et Telus pourront réagir plus rapidement à l'offensive des câblos et limiter l'érosion de leurs parts de marché. À court terme, cette concurrence accrue se reflétera certainement sur les prix des services. La question est de savoir si cette accélération de la déréglementation sera bénéfique à long terme.

Dans les grandes villes, où la part des nouveaux arrivants est de 10% et plus, les anciens monopoles ne réussiront pas à étouffer la concurrence, justement parce qu'elle a eu le temps de s'installer.

L'histoire est différente dans les plus petites agglomérations, où les câblodistributeurs n'ont pas encore déployé la téléphonie IP.

La proposition d'Ottawa veut dire qu'au moment où un câblo entrera dans la téléphonie locale, le critère des trois fournisseurs sera rempli, puisqu'à peu près toutes les régions du pays sont couvertes par le sans-fil.

Ce marché sera immédiatement déréglementé, ce qui risque de couper l'herbe sous le pied aux nouveaux arrivants.

Maxime Bernier soutient que les modifications, proposées la semaine dernière, à la Loi sur la concurrence réussiront à discipliner les acteurs.

Ça reste à voir. Le processus d'enquête au Bureau de la concurrence est tellement long que les nouveaux arrivants auront le temps de disparaître avant que sa décision ne soit rendue.

En présentant son décret lundi, Ottawa a satisfait les anciens monopoles. Seul le temps nous dira si ce choix sera aussi bénéfique pour l'économie canadienne et l'ensemble des consommateurs.