Les yeux du secteur bancaire mondial sont tournés vers l'empire du Milieu. Le sujet de l'heure est l'entrée simultanée sur les Bourses de Shanghai et de Hong Kong, prévue le 27 octobre prochain, de la Industrial and Commercial Bank of China, ICBC, la plus grande banque de Chine.

Les yeux du secteur bancaire mondial sont tournés vers l'empire du Milieu. Le sujet de l'heure est l'entrée simultanée sur les Bourses de Shanghai et de Hong Kong, prévue le 27 octobre prochain, de la Industrial and Commercial Bank of China, ICBC, la plus grande banque de Chine.

Si tout se déroule comme prévu, ce premier appel public à l'épargne établira un nouveau record. La ICBC s'attend à recueillir plus de 19 milliards de dollars US, ce qui éclipserait le record des 18,4 milliards US récoltés en 1998, par NTT DoCoMo, le numéro un japonais des télécommunications mobiles.

Bill Downe, numéro deux de BMO Groupe Financier, connaît bien le marché bancaire chinois. " Ce pays évolue à une vitesse incroyable. Les changements ont été plus nombreux au cours des cinq dernières années, qu'au cours des 25 précédentes. L'économie chinoise se modernise très rapidement. "

Montréalais d'origine, Bill Downe, 54 ans, réside actuellement à Chicago où BMO est présente par l'intermédiaire de sa filiale Harris Bank.

L'institution financière canadienne est également présente en Chine. Ça ne se compare pas avec les États-Unis, mais l'implantation chinoise suit lentement son cours.

En 2001, BMO devenait la première banque canadienne à ouvrir une succursale à Beijing. Elle compte également des succursales à Guangzhou et Hong Kong, ainsi qu'un bureau de représentation à Shanghai. Elle ouvrira en novembre à Beijing une succursale de BMO Marché des capitaux.

Le chef de l'exploitation de BMO a vu évoluer le système bancaire chinois. " Avant, c'était le gouvernement qui dictait aux banques ce qu'elles devaient faire en fonction de la politique de développement du parti communiste. Les prêts, accordés à des entreprises d'État, visaient essentiellement à stimuler l'économie locale et à créer de l'emploi. La question du remboursement était secondaire. Aujourd'hui, les prêts sont accordés à des entreprises qui doivent générer un profit et qui sont obligées de rembourser l'argent prêté. C'est toute une différence dans la façon de concevoir le rôle des banques. "

Ce peu d'importance accordé au remboursement des prêts est en partie responsable du sérieux problème de mauvaises créances auquel est confronté le système bancaire chinois.

Bill Downe ne s'en inquiète pas outre mesure: " Les mauvais prêts peuvent être absorbés par une économie en croissance. Le gouvernement chinois ne doit cependant pas tirer le tapis sous les pieds des entreprises d'État, lourdement endettées. Il faut graduellement transférer ces entreprises à des dirigeants plus expérimentés qui réussiront à les faire croître. Il faut faire preuve de patience et c'est ce que fait le gouvernement chinois. C'est pour ça qu'il y va par étape avec l'ouverture des marchés, qu'il prend son temps avec l'appréciation de sa devise. Il faut y aller doucement pour transformer l'économie d'un pays de 1,3 milliard d'habitants. "

L'ouverture du secteur bancaire chinois à la concurrence étrangère était une des conditions posées lors de l'entrée de la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce en 2001. En principe, tout ce processus devrait être complété pour janvier 2007. En pratique, Bill Downe croit qu'il faudra attendre encore un an.

En Chine, c'est l'éloge de la patience. La BMO en sait quelque chose. Il y a longtemps que ses dirigeants travaillent ce marché. Au début des années 80, William Mulholland, le président de l'époque a été le premier à saisir le potentiel énorme de la Chine. Depuis, tous les autres présidents et de nombreux dirigeants y ont séjourné et établi des contacts avec les décideurs chinois. BMO a même été jusqu'à tenir une réunion de son conseil d'administration en sol chinois. C'était en 1996 et l'institution montréalaise réalisait alors une première pour un pays occidentaux. " C'est un long processus. Il faut bâtir des liens de confiance, entretenir ses relations et surtout ne pas croire qu'un investissement important va vous ouvrir instantanément la voie du succès. Lorsque la Chine a commencé à s'ouvrir aux étrangers, nos premières transactions ont été liées au transfert de connaissance. Nous avons été parmi les conseillers du gouvernement chinois pour le financement du barrage des Trois Gorges. Le transfert de connaissance, le temps qu'on consacre en Chine sont beaucoup plus importants que le montant d'argent investi. "

La patiente entreprise de séduction de la BMO porte fruits. En mai dernier, elle était choisie avec cinq autres sociétés internationales pour diriger le premier appel public à l'épargne de la Banque de Chine, une opération de 11,2 milliards de dollars US. La présence de la BMO en Chine génère encore peu de revenus, Bill Downe considère toutefois que son entreprise fait les gestes qu'il faut pour profiter de la croissance chinoise.

Le meilleur conseil que peut donner le banquier à ceux qui veulent faire affaire en Chine est d'y aller, bien sûr. Il apporte toutefois une précision intéressante.

" Certains Occidentaux ont tendance à oublier que la Chine a une longue tradition capitaliste derrière elle. Oui, il y a eu l'époque communiste, mais c'est une période très courte dans l'histoire de cette nation commerçante. La notion de profit n'a rien d'étranger pour eux. Il faut bien comprendre que les Chinois ne vont faire affaire avec vous que s'ils sont convaincus qu'ils en tireront profit. "

Il faut traiter d'égal à égal avec les Chinois, poursuit-il, y allant même de cette mise en garde: " Vous devez garder en tête que votre partenaire chinois agira toujours en fonction de son intérêt. Vous devez être conscient que les liens d'amitié sont, certes, essentiels pour bâtir un climat de confiance, mais qu'ils ne sont pas à toute épreuve. La Chine est un marché très compétitif. Les Chinois n'hésiteront pas à conclure une entente avec un autre partenaire si c'est plus avantageux pour eux. "

Une personne avertie en vaut deux... Cela dit, Bill Downe est catégorique. L'émergence de la Chine bouscule les choses, mais nos entreprises sont capables d'y faire face.

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