Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a dû en faire tiquer plus d'un en commentant le rapport Castonguay. Pour le ministre, le problème de la santé au Québec n'en est pas un de financement, mais de gestion.

Le ministre de la Santé, Philippe Couillard, a dû en faire tiquer plus d'un en commentant le rapport Castonguay. Pour le ministre, le problème de la santé au Québec n'en est pas un de financement, mais de gestion.

Le point de vue de M. Couillard va à l'encontre d'une opinion largement répandue, notamment chez les médecins, les syndicats et les bureaucrates, et voulant qu'il suffirait d'injecter plus de fonds dans les soins de santé pour améliorer le système.

Or, un coup d'oeil sur les dépenses de santé montre que le Québec fait déjà sa large part.

Les lobbies qui militent pour augmenter les dépenses font valoir que c'est le Québec qui est la province la plus radine à ce chapitre, si on considère les dépenses par habitant.

Selon les derniers chiffres de l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS), un organisme dont la crédibilité est solidement établie, les dépenses de santé par habitant au Québec atteignent 2853$ par année. C'est effectivement la dernière place.

Il faut cependant savoir que la moyenne canadienne est de 3156$. L'écart entre le Québec et la moyenne est donc de 9,6%. C'est un retard important, certes: pour le combler, il faudrait augmenter les dépenses de deux milliards.

Mais à 9,6%, on ne peut certainement pas parler de fossé. D'autant plus que les dépenses de santé sont tellement énormes qu'il faut placer le chiffre de deux milliards dans son contexte: cette somme représente ce que le Québec dépense en santé en un seul mois!

Surtout, il est hautement imprudent, pour ne pas dire malhonnête, de ne retenir qu'un seul critère, celui des dépenses par habitant. Ce serait comme acheter une maison sans tenir compte du voisinage.

Pour fournir un portrait plus juste de la situation, il faut aussi tenir compte de la capacité de payer de la société. Par exemple, la province la plus dépensière en matière de santé est l'Alberta, avec 3695$ par habitant.

Ce n'est pas surprenant: l'Alberta est la plus riche des provinces canadiennes, et elle peut se permettre cela. Par rapport à la taille de l'économie albertaine, ces dépenses représentent 4,6% du produit intérieur brut (PIB).

Au Québec, comme on l'a vu, les dépenses se situent à 2853$, mais pour y parvenir, les Québécois doivent y consacrer 6,9% de la taille de leur économie.

Toutes proportions gardées, les Québécois, parce qu'ils sont moins riches que les Albertains, doivent donc faire un effort beaucoup plus exigeant pour financer leurs dépenses de santé.

On peut même dire que le Québec, compte tenu de ses moyens, n'a rien à se reprocher, puisque ses dépenses sont légèrement supérieures à la moyenne canadienne de 6,6%.

Il faut aussi savoir que le Canada, lorsqu'on le compare aux autres pays industrialisés, compte déjà parmi ceux qui engloutissent le plus d'argent en santé.

Selon les derniers chiffres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les dépenses canadiennes à ce chapitre sont de 3326$ par habitant (les chiffres de l'ICIS et de l'OCDE divergent légèrement en raison de méthodologies différentes).

C'est certes beaucoup moins qu'aux États-Unis, où on observe des dépenses de 6401$. Mais les États-Unis présentent un cas à part à cause de l'hypertrophie du secteur privé.

Parmi les pays qui se comparent au Canada, on note la Belgique (3389$), la France (3374$) et l'Allemagne (3287$).

Par contre, des pays dotés d'excellents systèmes de santé y parviennent en dépensant beaucoup moins: 2532$ en Italie, 2358$ au Japon, 2331$ en Finlande, 2261$ en Espagne, pour ne nommer que ceux-là.

Les Canadiens (et les Québécois) ne sont pourtant pas plus bêtes que les Japonais ou les Italiens.

La différence, et le ministre Couillard met le doigt sur le bobo, c'est que le système québécois de santé est l'otage de puissants lobbies qui se préoccupent d'abord de leurs intérêts.

Laissons la parole au ministre: «À partir du moment où vous donnez le signal qu'il y a de l'argent, tous les groupes du système viendront à la porte pour réclamer leur part: médecins, personnel, établissements du réseau.»

Tout est là. Vous avez les meilleurs ingrédients pour scléroser le système. Dans ces conditions, cela ne sert à rien d'y injecter des milliards.

On l'a vu, compte tenu de sa capacité de payer, le Québec fait déjà plus que sa part. Il faut donc, comme le suggère le ministre, un «changement de culture».

Quand on considère la puissance du lobby médical, du lobby syndical et du lobby bureaucratique, ce changement n'est pas pour demain... ni pour après-demain!