On comprend que ceux qui se félicitaient d'avoir mis la main sur BCE fin juin 2007, invoquaient tout un chapelet de saints pour que la transaction avorte par miracle.

On comprend que ceux qui se félicitaient d'avoir mis la main sur BCE fin juin 2007, invoquaient tout un chapelet de saints pour que la transaction avorte par miracle.

On comprend que ce consortium d'acheteurs, piloté par la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario, Teachers', rêvait de prendre la poudre d'escampette. Il s'en voulait à mort d'avoir payé le gros prix, au sommet du marché, pour une entreprise de télécommunications en perte de vitesse sur plusieurs de ses marchés.

À 51,7 milliards de dollars, cette transaction aurait été la plus grande acquisition par emprunt de l'histoire du Canada.

On comprend que les banquiers qui devaient prêter une trentaine de milliards aux acquéreurs étaient livides de peur. Soit ils essuyaient de lourdes pertes en essayant de revendre les titres d'emprunt dans l'un des pires marchés depuis les années 30, soit ils restaient pris avec cette montagne de dettes en attendant des jours meilleurs.

On comprend que Bell Canada elle-même n'avait pas intérêt à porter une dette aussi lourde, alors qu'elle doit réinvestir de toute urgence dans ses réseaux de télécommunications pour demeurer concurrentielle.

On comprend tout cela.

Mais que Teachers' et compagnie se sauvent après 18 mois en ne payant pas les frais de résiliation associés à cette transaction, c'est drôlement inélégant.

Il est vrai que la somme en jeu est considérable: 1,2 milliard de dollars, cela ferait mal à un gestionnaire de fonds même dans une bonne année en Bourse.

À l'évidence, Teachers' et ses partenaires calculent qu'ils ont des chances de l'emporter devant les tribunaux. Le test de solvabilité que BCE a échoué, selon la firme d'experts comptables que Teachers' a retenue, était bel et bien une condition à la conclusion de la transaction. Et les données transmises aux comptables de KPMG venaient de BCE!

Mais en se réfugiant derrière son contrat pour ne pas payer ces frais de résiliation, Teachers' se conduit de façon grossière.

Vous allez sans doute penser que je suis naïve de faire intervenir la morale dans un monde des affaires où tout est régi par le droit et par de sacro-saints contrats. Mais je crois que, dans les circonstances, cela aurait été la chose honorable à faire.

Car la transaction d'achat de BCE était à toutes fins utiles consommée. Teachers' et ses partenaires avaient déjà pris possession de l'entreprise.

Voilà plus d'un an qu'ils ont désigné George Cope pour succéder à Michael Sabia comme grand patron. George Cope a pris les commandes de l'entreprise à la mi-juillet. Avec son équipe, il a mis en oeuvre un nouveau plan d'affaires.

En vertu de ce fameux plan des 100 jours, Bell Canada a élagué l'entreprise, licencié du personnel et changé son image. La société de télécoms s'est aussi engagée à investir plusieurs centaines de millions de dollars dans un réseau sans fil de dernière génération, afin que Bell Canada ne soit plus confinée au standard CDMA. Celui-ci perd du terrain à travers le monde de la même façon que le Betamax a perdu la bataille de la cassette vidéo.

Ce coup de barre chez Bell Canada était attendu depuis longtemps, mais là n'est pas la question. Le feuilleton du rachat par Teachers' aura duré près de 18 mois. Et il aura été une distraction immense pour l'entreprise.

Pendant que les câblodistributeurs grugeaient des parts de marché, BCE était en train de défendre cette acquisition par emprunt jusqu'en Cour suprême du Canada.

D'un point de vue intellectuel, l'exercice était certes stimulant. Cette cause a fait évoluer le droit des affaires au Canada et éclaircira les obligations des administrateurs lorsqu'une entreprise fait l'objet d'une transaction de vente. Mais bon, Bell Canada avait d'autres chats à fouetter.

Alors que Bell Canada reprend du poil de la bête, il faudrait encore que l'entreprise gaspille son argent et son énergie pour récupérer ces frais de résiliation?

Même en payant 1,2 milliard de dollars, Teachers' et compagnie s'en tirent à bon compte. Et puis, Teachers' profiterait un tout petit peu de ce paiement, puisque la caisse ontarienne reste l'investisseur le plus important de BCE, avec 51 millions d'actions, selon sa dernière déclaration.

Les actionnaires de BCE ont largement fait les frais de ce flirt, alors que le titre de l'entreprise montréalaise ne vaut plus que 22 dollars et des poussières, presque moitié moins que l'offre de 42,75$ par action. Même si BCE se remet à payer des dividendes, même si BCE rachète une partie de ses actions, les actionnaires seront loin du compte. En outre, il est fort peu probable que ces actionnaires récupèrent les deux paiements de dividendes qui ont été suspendus.

Que le consortium des acquéreurs paie les frais de résiliation et permette à BCE de tourner la page sur cette longue mésaventure, c'est une question de décence.