Vendredi dernier était ma dernière journée de congé de maternité.

Vendredi dernier était ma dernière journée de congé de maternité.

Une année, c'est court dans la vie d'un bébé. Le temps de quelques photos prises en rafale un premier sourire, une roulade, une dent et hop, c'est terminé.

Une année, c'est une éternité dans la vie d'une société.

Le préposé du stationnement de La Presse ne me reconnaît plus. Ma vieille carte magnétique est désactivée. Les logiciels de rédaction, de mise en page et de recherche des archives ont tous changé. Mon boss est parti au journal Les Affaires. Je me suis même cogné le nez sur un mur (sans blague) en me rendant à la salle où patrons et employés de La Presse se réunissent depuis des temps immémoriaux; l'immuable Salle du Centenaire a déménagé.

Heureusement qu'il me reste quelques repères. À la une de La Presse Affaires, vendredi, les dernières frasques de Nortel. La société de télécoms devra retraiter pour la quatrième fois ses états financiers et revoir sa comptabilité des trois dernières années. Du coup, Nortel reporte pour la nième fois qui tient encore le compte? la sortie de ses derniers résultats. Bref, c'est comme si je n'étais jamais partie.

Il y a eu de rares mais notables jours où j'aurais volontiers troqué la table à langer contre le clavier. Par exemple, lorsque le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a changé les règles du jeu pour les fiducies de revenu, semant la pagaille sur Bay Street. Rien ne bat la poussée d'adrénaline d'une nouvelle fracassante.

Or, c'était justement une grosse année de fusions et d'acquisitions. Domtar a mis la main sur les activités de papiers fins de Weyerhaeuser. Le groupe Jean Coutu a cédé ses pharmacies américaines à Rite Aid. Iamgold a acquis le producteur d'or québécois Cambior. Etc.

En tout et pour tout, il y a eu pour 230 milliards US de transactions impliquant au moins une entreprise canadienne en 2006, a compilé la firme Thomson Financial.

Ce n'est pas la première fois que l'Amérique du Nord connaît un boom de fusions et d'acquisitions. Mais cette nouvelle frénésie s'explique par l'influence des grands fonds d'investissement privés, qui ne cesse de grandir. Grâce à leurs relations et à leur aisance à financer des transactions monstres, en cette période de taux d'intérêt bas, ces fonds ont acquis une puissance formidable. Pour employer une image hollywoodienne, c'est comme si quelques King Kong fourrageaient en toute liberté sur Wall Street et Bay Street.

En un an, la donne a changé. Uniquement au cours du dernier mois, les deux plus grands achats adossés de l'histoire ont été ficelés. Lors d'un achat adossé (leveraged buyout), l'acquéreur emprunte les fonds dont il a besoin en donnant l'actif de l'entreprise ciblée en garantie. Il le fait au moyen d'obligations à rendement élevé, péjorativement appelées obligations de pacotille (junk bonds).

Début février, donc, Blackstone remportait l'enchère pour le promoteur immobilier Equity Office Properties Trust en offrant 39 milliards de dollars américains (incluant la prise en charge de la dette). Quelques jours plus tard, Texas Pacific et Kohlberg Kravis Roberts & Co (KKR), la doyenne de ces firmes, faisaient miroiter 45 milliards US aux actionnaires de TXU Corp., le plus grand producteur d'électricité du Texas.

Le Canada n'échappe pas à la tendance. Au cours de la dernière année, par exemple, Blackstone a aidé le promoteur torontois Brookfield Properties à acquérir Trizec Properties et Trizec Canada. Ces entreprises rejoignent ainsi le club de moins en moins sélect des canadiennes qui se sont déjà alliées à des fonds privés, ou qui ont carrément été avalées par eux : Air Canada, BRP (ex Produits récréatifs de Bombardier); Groupe Pages Jaunes; Intrawest, Shoppers Drug Mart (Pharmaprix) Vidéotron Télécom, pour ne nommer que celles-là.

Qu'il s'agisse d'immobilier ou de divertissement, d'énergie ou d'hôtellerie, il n'y a pas grand secteur qui échappe au radar des fonds d'investissement privés. Pas même le fameux musée de cire de Madame Tussaud à Londres, qui passera aux mains de la filiale de divertissement de Blackstone, a-t-on appris avant-hier.

Les fonds d'investissement privés ont toujours été là. Lorsqu'ils achètent des entreprises à capital fermé, leurs transactions passent relativement inaperçues, puisque personne n'est tenu d'en informer le grand public. Lorsqu'ils écrèment les marchés boursiers à la recherche de géants sous-évalués, comme ils le font actuellement, ils font grand bruit.

Tellement que certains se demandent si l'avenir des Bourses traditionnelles n'est pas compromis par la privatisation grandissante de l'économie.

John Thain, le grand patron du NYSE Group, qui chapeaute la Bourse de New York, assure (sans surprise) que non. Une fois que les fonds d'investissement privés auront redressé et consolidé leurs entreprises, ils les relanceront en Bourse. " Les entreprises nous reviendront ", a-t-il assuré en entrevue au New York Times.

Et puis, les taux d'intérêt ne seront pas toujours aussi bas. Lorsqu'ils grimperont, a-t-il ajouté, ces firmes manqueront de carburant.

Peut-être. Mais en attendant, les fonds d'investissement privés feront la pluie et le beau temps.