L'entrevue avec Louis Vachon était prévue depuis trois semaines. Mais encore une fois, le président de la Banque Nationale du Canada s'est fait éclipser par la crise financière sur Wall Street.

L'entrevue avec Louis Vachon était prévue depuis trois semaines. Mais encore une fois, le président de la Banque Nationale du Canada s'est fait éclipser par la crise financière sur Wall Street.

La campagne électorale américaine est cul par-dessus tête, tandis qu'au Congrès, les élus s'entredéchirent sur le plan de sauvetage de 700 milliards de dollars. Les limiers du FBI élargissent leur enquête pour fraude à 26 institutions financières. Et un Ben Bernanke plus inquiet que le président de la Réserve fédérale ne l'a jamais été en public évoque les "graves menaces" qui pèsent sur le système financier. Une petite journée, quoi.

C'est presque une habitude pour Louis Vachon depuis qu'il est entré en poste, en juin 2007. Il ne s'était pas encore accoutumé à la vue de son nouveau bureau que la crise du papier commercial éclatait à la mi-août. Et juste comme la Nationale entrevoyait la lumière au bout du tunnel, au printemps, la banque d'affaires Bear Stearns s'est affaissée. Or, son sauvetage orchestré par la Réserve fédérale n'aura procuré qu'un court répit.

Le lundi même où Louis Vachon dévoilait la nouvelle stratégie d'affaires de la Nationale et annonçait un investissement de 36 millions dans un courtier de Winnipeg, Lehman Brothers déclarait faillite. Puis en quelques jours, les autres banques d'affaires sont tombées en cascade.

Alors qu'il tente d'imprimer sa marque sur la banque de la rue de la Gauchetière, Louis Vachon pourrait être frustré de la tournure des événements. Mais avec impassibilité, il n'en laisse rien transparaître. Comment décrit-il sa première année comme président? Entre tous les qualificatifs, il choisit "excitante", avec un sourire lourd de sous-entendus.

Pour mettre la crise financière en perspective, Louis Vachon aime rabâcher une anecdote aux employés de la banque. Deux caractères chinois juxtaposés symbolisent le mot "crise" en mandarin: le premier signifie "danger", tandis que le second se traduit par "occasion".

"Cela me fait de la peine pour les gens que j'ai connus chez Lehman Brothers et compagnie. Mais pour le reste, je ne peux pas avoir de sentiments. Il faut que je regarde quelles sont les occasions pour la Banque Nationale là-dedans."

Les occasions sont nombreuses pour les institutions canadiennes, par le temps qui court. Et si la Banque Nationale ne magasine pas au sud de la frontière, elle trouve amplement de quoi s'amuser au pays.

L'institution financière compte profiter de toute l'incertitude qui incite les Canadiens fortunés à se réfugier chez les banques qui sont perçues (à tort ou à raison) comme plus solides que les gestionnaires de fonds indépendants. La Nationale espère aussi tirer son épingle du jeu dans le financement pour grandes entreprises. Avec les institutions financières étrangères qui battent en retraite, comme la Société Générale, la concurrence s'atténue dans ce créneau.

Mais le danger guette. Assurément, il y a le ralentissement abrupt aux États-Unis, qui se propage au Canada, ce qui est toujours préoccupant pour une banque. Mais Louis Vachon semble plus craintif du ressac qui se dessine à Washington et, par ricochet, ailleurs. Ressac qui se traduit de façon plus juste par le mot anglais de backlash.

Wall Street a véritablement couru après. Louis Vachon l'admet sans détour, même s'il est prompt à trouver toutes sortes de justifications pour ce qui s'est produit sur Wall Street, dont les pressions politiques exercées sur les institutions financières pour qu'elles prêtent des fonds à des gens qui n'avaient pas les moyens d'obtenir pareil crédit.

"On a tous, dans la communauté financière, une grande part de responsabilité là-dedans", dit-il for the record.

Des produits dérivés dits exotiques, Louis Vachon dira qu'"on a mélangé les éprouvettes, et cela nous a pété en pleine figure".

Louis Vachon blâme tout particulièrement les dirigeants et administrateurs des firmes qui ont cautionné cette dérive hasardeuse. "À la base, ils se sont écrasés."

Clairement, les firmes, leurs dirigeants, leurs rémunérations et leur utilisation de l'effet de levier sont dans la mire des autorités boursières. Clairement, les produits dérivés d'une grande complexité seront scrutés à la loupe.

"Avant d'arriver avec de nouvelles règles, il faut s'assurer de tirer toutes les leçons de la crise, prévient toutefois Louis Vachon. Il faut s'assurer qu'en corrigeant un problème, on n'en crée pas un autre."

Par exemple, le président de la Banque Nationale croit que les gendarmes de la Bourse en Angleterre, aux États-Unis et au Canada ont démonisé la vente à découvert en interdisant de façon temporaire ce type de transaction boursière. Grâce à une vente à découvert, un investisseur peut profiter de la chute du cours d'une action.

Au Canada, la vente à découvert est seulement autorisée en temps normal lorsque le prix d'une action monte, alors qu'aux États-Unis, cette restriction est tombée. Ainsi, des spéculateurs américains peuvent non seulement profiter de la baisse d'une action mais aggraver l'ampleur de sa chute. Certains croient ainsi que les ventes à découvert ont asséné le coup de grâce à la banque d'affaires Lehman Brothers.

"C'est plus cela le problème", note Louis Vachon.

Ce banquier craint ainsi qu'avec "l'émotivité du discours", on passe d'une situation de laisser-aller à un encadrement étouffant.

"La prise de risque, c'est notre métier. Une institution qui ne prend pas de risque ne joue pas son rôle dans l'économie", dit-il. Louis Vachon évoque le spectre du Japon, dont la morosité financière s'éternise depuis une dizaine d'années.

"Trouver l'équilibre, c'est délicat", ajoute-t-il.

Louis Vachon reconnaît toutefois du bout des lèvres que la rémunération stratosphérique du secteur financier devra être "revue et discutée". Traduction: elle pourrait devoir revenir à des proportions plus terrestres.

Le secrétaire américain du Trésor a d'ailleurs dû faire volte-face hier pour amadouer les démocrates et les républicains qui sont révoltés par le coût du sauvetage de Wall Street.

"Il s'agit de voir si on tiendra encore ce discours (émotif) après les élections américaines", note Louis Vachon. Il s'agit de voir, en effet.

courriel pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca