Chaque automne, l'Institut Fraser publie les résultats de sa vaste enquête annuelle sur les délais d'attente en santé. Quelque 2700 médecins spécialistes au Canada (dont plus de 500 au Québec) ont participé à l'enquête de 2006.

Chaque automne, l'Institut Fraser publie les résultats de sa vaste enquête annuelle sur les délais d'attente en santé. Quelque 2700 médecins spécialistes au Canada (dont plus de 500 au Québec) ont participé à l'enquête de 2006.

On y apprend notamment que 771000 Canadiens, dont 198 000 Québécois, poireautent sur les listes d'attente. Nous ne parlons pas ici des débordements dans les urgences ou des files d'attente devant les cliniques sans rendez-vous (eh oui! nous en sommes rendus là), mais des patients en attente d'une chirurgie.

Ainsi, en 1993, il y a à peine une douzaine d'années, le délai médian entre la première visite chez l'omnipraticien et la date effective du traitement par le médecin spécialiste se situait à 9,3 semaines.

En 2006, ce chiffre est passé à 17,8 semaines. La détérioration est encore plus rapide au Québec, où les chiffres correspondants sont de 7,3 et 18,5 semaines.

Autrement dit, en 1993, on pouvait s'attendre, au Québec, à patienter 51 jours avant d'avoir accès à une chirurgie. Cette année, ce délai se situe à 130 jours.

Il va de soi que les délais varient considérablement en fonction des provinces et des spécialités. Ainsi, en orthopédie, le délai d'attente médian se situe à 496 jours (près de 17 mois) en Nouvelle-Écosse contre seulement 229 jours au Québec, une des provinces les plus performantes à ce chapitre.

En ophtalmologie, le délai se situe à 332 jours en Saskatchewan, 210 au Québec et 129 au Manitoba. Malgré l'importance de ces écarts, une constante demeure: dans toutes les provinces et dans toutes les spécialités, les délais s'étirent maintenant bien au-delà de ce que l'on peut considérer comme raisonnable dans un pays industrialisé.

Pour les centaines de milliers de patients qui se morfondent dans le système en attendant un traitement, et pour leur entourage, ces longs délais représentent évidemment des moments extrêmement angoissants. Derrière ces 10, 15, 20 semaines d'attente se profilent des drames humains épouvantables.

Mais la question comporte aussi un volet économique: ces délais coûtent cher.

Comme on s'en doute, les gens en attente d'une chirurgie sont sujets à des perturbations de toutes sortes: souffrances physiques, bien sûr, mais aussi stress, insomnie, anxiété, irritabilité, fatigue, perte d'appétit. Cela se reflète forcément sur leur productivité au travail. Ainsi, plus les délais d'attente s'allongent à l'intérieur du système de santé canadien, plus la productivité (et donc, la richesse collective) diminue.

En 2006, selon les calculs de l'économiste Nadeem Esmail, de Fraser, ces pertes de productivité peuvent être prudemment évaluées à 680 millions.

Comment peut-on en arriver à ce montant?

Tous les patients ne réagissent pas de la même façon lorsqu'on leur apprend qu'ils devront attendre des semaines et des semaines avant d'être traités. Certains continueront de mener leur vie personnelle et professionnelle comme si de rien n'était, d'autres peuvent devenir tellement dépressifs qu'ils doivent cesser de travailler. Dans ces conditions, il n'est pas facile de chiffrer les pertes de productivité.

En multipliant le nombre de patients par la longueur des délais, par province et par spécialité (données facilement disponibles dans l'enquête auprès des médecins spécialistes), on obtient le nombre total de semaines d'attente. Cette année, ce chiffre se situe à 9,86 millions de semaines.

Dans ses calculs, M. Esmail ne tient pas compte du délai entre une première visite chez l'omnipraticien et la consultation chez le spécialiste. Pour la majorité des patients, en effet, la période d'attente la plus stressante se situe en effet entre la consultation chez le spécialiste et la date effective du traitement.

Les Canadiens attendent donc, en tout, 9,86 millions de semaines. Or, une enquête de Statistique Canada montre que 9,8% des patients en attente d'une chirurgie éprouvent de sérieux problèmes dans leurs vies personnelles et professionnelles, et que ces problèmes sont directement reliés aux délais.

Comme on l'a vu, le niveau de stress varie considérablement d'une personne à l'autre, mais on peut très certainement penser que ce pourcentage reflète assez fidèlement les pertes de productivité dues aux délais d'attente.

Ceux-ci entraînerait donc une perte de 966 000 semaines de travail. Il suffit ensuite de multiplier ce résultat par le salaire hebdomadaire moyen pour évaluer les pertes. C'est ainsi que l'on arrive au montant de 680 millions.

Comme les salaires et les délais d'attente varient beaucoup d'une province à l'autre, les pertes ont peu de rapport avec le poids démographique des provinces.

Ainsi, c'est en Alberta que se trouvent les salaires les plus élevés, mais les pertes de productivité n'y atteignent que 44 millions, parce que les délais d'attente sont également les plus courts au pays. En Saskatchewan, là où les délais sont le plus longs, les pertes frisent les 110 millions, même si les salaires sont inférieurs à la moyenne canadienne.

Les chiffres correspondants sont de 166 millions en Ontario, 135 millions en Colombie-Britannique et 131 millions au Québec, qui tire finalement assez bien son épingle du jeu dans les circonstances.

En réalité, les pertes sont trois fois plus élevées que cela. Les calculs de M. Esmail sont en effet d'une extrême prudence. Ils ne tiennent compte que du temps passé au travail.

En conséquence, ils n'accordent aucune valeur au temps passé en famille, consacré aux travaux domestiques, aux enfants, aux loisirs, au transport et aux autres activités de la vie quotidienne. Or, ce temps, même s'il n'est pas rémunéré, a une valeur. S'il fallait en tenir compte (en excluant bien sûr huit heures par jour de sommeil), M. Esmail évalue les pertes à 2,1 milliards.