Naviguer entre les écueils. Piloter dans la tempête. Redresser la barre... Depuis toujours le monde des affaires abuse des images du monde maritime. Et pourtant, aucun de ces clichés n'est assez fort pour traduire cette crise financière, alors que les marchés culbutent et caracolent.

Naviguer entre les écueils. Piloter dans la tempête. Redresser la barre... Depuis toujours le monde des affaires abuse des images du monde maritime. Et pourtant, aucun de ces clichés n'est assez fort pour traduire cette crise financière, alors que les marchés culbutent et caracolent.

Les petits investisseurs ont le mal de mer à force de suivre les indices des bourses de New York, de Toronto et de Tokyo. Mais en ayant les yeux rivés sur leurs écrans, à suivre les fluctuations d'heure en heure, il est facile de perdre de vue l'amplitude et la rapidité des revirements.

En trois semaines, le dollar canadien a perdu au-delà de 13% de sa valeur avant de reprendre un peu de poil de la bête. Il valait 84,25 cents US en fin de journée hier, alors qu'il s'échangeait à plus de 96 cents US fin septembre.

La chute du baril de pétrole, qui explique en bonne partie l'atterrissage forcé du huard, est encore plus prononcée. Après une poussée de fièvre à 120,92$US le 22 septembre, le baril de pétrole a dégringolé de 42% en trois petites semaines! Toutefois, il s'est quelque peu rétabli ces derniers jours. En fin de séance, hier, il valait 71,85$US à la Bourse Nymex.

Pour les entreprises, ces variations aussi imprévisibles qu'abruptes sont un cauchemar. Par exemple, avec la chute marquée du prix de l'aluminium et la déflagration en Bourse qui rend hasardeux le délestage d'unités d'affaires, Rio Tinto Alcan se dit forcée de revoir ses plans d'expansion à Alma, au Saguenay, et à Kitimat, en Colombie-Britannique. Et ce, pour conserver ses liquidités.

Si une géante comme Rio Tinto Alcan est contrainte de chambouler des plans longuement mûris, imaginez l'effet de ces variations soudaines sur des PME! Contrairement à Alcan, ces petites entreprises ne peuvent pas compter sur une batterie de spécialistes pour suivre l'évolution des devises et des matières premières et se protéger de fluctuations au moyen d'opérations de couverture.

Comment gérer dans le chaos? «Je me le demande moi-même», dit Christian Élie, président de Pelican International, un fabricant de kayaks de Laval qui emploie plus de 300 salariés. Ce dirigeant ne blague qu'à moitié. «Nous n'avons jamais connu une période aussi folle», dit-il.

Depuis quelques années, mais surtout depuis 2008, son entreprise qui exporte 75% de sa production aux États-Unis est frappée sur tous les fronts. Pelican a souffert de l'appréciation du dollar canadien et de la flambée du prix du pétrole, qui a fait gonfler de 30% le prix du plastique, le tiers de ses coûts de fabrication. (Il importe toutefois son plastique d'usines se trouvant dans le sud des États-Unis...) Avec les surcharges pour l'essence, les frais de transport par camion ont aussi grimpé.

Or, cette PME n'a pas le loisir de refiler la facture à ses clients, des grandes surfaces comme Wal-Mart et Canadian Tire qui fixent leurs prix à l'année.

Christian Élie espère que le dollar restera aux environs de 85 cents, ce qui lui permettra de contrebalancer la faiblesse appréhendée des commandes américaines. En revanche, il lui en coûtera plus cher pour conclure l'acquisition que Pelican contemple actuellement aux États-Unis!

Si Pelican s'en est tirée au cours des dernières années, c'est parce qu'elle a investi dans la machinerie et accru sa productivité. Et parce qu'elle suit quotidiennement les marchés des matières premières et des devises. «Par la force des choses, mon frère et mois sommes devenus aguerris aux contrats de couverture», dit Christian Élie.

Ce dirigeant se fait néanmoins conseiller par son banquier et un consultant en devises. Et il profite de l'expertise d'un réseau mondial de grands acheteurs de plastique qui lui font rapport, deux fois semaine, sur le marché spot du polyéthylène à Londres.

Pelican protège 80% de ses revenus annuels de plus de 50 millions de dollars au moyen de contrats qui fixent à l'avance son taux de change. Bien sûr, l'entreprise ne profite pas autant qu'elle le pourrait du repli du dollar canadien. «Mais on ne veut pas spéculer sur l'avenir de Pelican», dit Christian Élie, dont l'entreprise célèbre cette année ses 40 ans.

Malheureusement, toutes les PME ne sont pas aussi prudentes que Pelican, constate Guy Cusson, expert en financement et en commerce international à la Banque Nationale. Les deux tiers des PME québécoises n'ont pas élaboré une politique de couverture pour se protéger des fluctuations adverses des devises ou des matières premières dont elles se servent, estime à vue de nez ce directeur principal.

«L'entrepreneur a souvent un petit côté gambler, dit Guy Cusson. Il aime suivre les cours du dollar ou du pétrole et il pense qu'il peut prévoir leurs variations. Or, si son entreprise n'a pas de marge de manoeuvre, il peut la mettre en danger.»

À l'inverse, poursuit-il, une bonne politique de couverture peut faire la différence entre la vie et la mort. Guy Cusson cite en exemple un fabriquant québécois de meubles qui a eu le temps, lorsque le dollar canadien a commencé à s'apprécier, de changer ses méthodes de production et de se trouver de nouveaux sous-traitants en Asie afin d'abaisser ses coûts de fabrication.

Curieusement, note Guy Cusson, les entreprises tiennent à conclure des contrats de travail de deux, trois, et même cinq ans, afin que leurs coûts de main-d'oeuvre soient prévisibles. Mais quand vient le temps de protéger leurs revenus ou le coût de leurs achats, ils n'ont pas le même réflexe.

«Avec toute la volatilité, dit Guy Cusson, cela permet de dormir tranquille!»

Une paix qui vaut son pesant d'or, par le temps qui court.