Avec la raclée qu'a connue l'action de Quebecor World en Bourse cette semaine, cela pouvait passer pour un détail.

Avec la raclée qu'a connue l'action de Quebecor World en Bourse cette semaine, cela pouvait passer pour un détail.

Le titre de l'imprimeur a perdu un gros dollar, ou 16% de sa valeur, dans la seule journée de lundi.

Or, c'était juste avant que l'entreprise n'annonce un douloureux plan de refinancement, qui a retranché un autre 22% de sa valeur boursière.

Louche? C'est la conclusion à laquelle on vient d'instinct, surtout au Canada, le royaume du délit d'initié, selon certains chercheurs. Et pourtant, la conclusion est loin d'être aussi nette.

Le titre de Quebecor World était en glissade depuis l'annonce d'une perte de 315 M$ et de son départ de l'Europe.

Le volume de transactions n'était pas inhabituel. Qui plus est, des analystes ont eu la puce à l'oreille lorsque la direction a évoqué, en téléconférence, de prochaines «initiatives financières».

Mais quand même, 16%?

Bref, ce n'est pas un cas aussi patent que la fameuse affaire des fiducies de revenu.

La décision de l'ex-ministre des Finances, Ralph Goodale, de réduire l'impôt sur les dividendes et de préserver l'avantage fiscal des fiducies avait été largement ébruitée sur Bay Street.

Des centaines de millions de dollars d'actions avaient changé de mains avant l'annonce officielle, à la fermeture des marchés, le 23 novembre 2005.

Dans ce cas, seul un pauvre fonctionnaire du ministère fédéral des Finances a été épinglé. Comme si les petites transactions de ce bouc émissaire pouvaient expliquer à elles seules le volume hautement inhabituel des transactions cette journée-là.

Voyons donc!

Cela dit, et sans excuser le travail de plouc de la Gendarmerie royale du Canada, le délit d'initié est peut-être le crime économique le plus difficile à démontrer. Il faut prouver, hors de tout doute raisonnable, que l'infraction a été commise de façon délibérée.

Parlez-en aux avocats de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. L'été dernier, ils ont échoué à démontrer que l'ancien patron de Bre-X, John Felderhof, savait que les échantillons miniers de Busang, en Indonésie, ne contenaient pas plus d'or que le carré de sable dans ma cour.

Ce n'était donc que pure coïncidence si le géologue a écoulé pour 84 M$ d'actions de Bre-X quelques mois avant que le scandale du siècle n'explose...

En fait, ces affaires sont si difficiles à démontrer que, jusqu'à tout récemment, les commissions canadiennes avaient pour ainsi dire abdiqué.

L'ancienne Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ) avait été particulièrement échaudée lorsqu'elle avait tenté de démontrer que des avocats et des administrateurs de Memotec avaient fait un coup de fric en achetant des actions de la société avant que celle-ci ne mette la main sur Teleglobe.

Après l'acquittement de l'avocat Peter Blaikie, en 1988, la CVMQ avait abandonné les autres poursuites.

À la suite de ce revers cuisant, le gouvernement avait amendé la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, pour élargir la définition d'information privilégiée et donner plus de prise au gendarme de la Bourse.

Mais le mal était fait. Plus aucun enquêteur ou avocat de la Commission ne voulait perdre son temps avec ce type de dossier, me racontait un ancien employé.

Sans surprise, les poursuites de délits d'initiés sont devenues aussi rares que des trèfles à quatre feuilles. Le message a été largement compris par la communauté financière, qui s'en est donné à coeur joie.

Les excès des années 1990 et 2000 ont toutefois écoeuré l'opinion publique, au point où les autorités ont été forcées de corriger le tir.

À cet égard, il faut souligner les efforts entrepris ces derniers temps par l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui a pris le relais de l'ancienne CVMQ.

L'AMF a créé en 2005 une équipe de cinq spécialistes dédiée à la surveillance des marchés.

Par ailleurs, l'équipe qui lutte contre les crimes économiques a presque doublé son effectif depuis trois ans. Elle compte 85 inspecteurs, enquêteurs et avocats.

On commence à voir les résultats. Il y a deux semaines, Louis-Philippe Séguin et sa firme, Corporation Stratégique SPJ, ont été condamnés pour délits d'initiés.

Cet ancien administrateur de Garda a vendu des titres de la firme de sécurité au moment où celle-ci s'apprêtait à acquérir Secur.

Plus tôt cette année, Claude Vézeau se reconnaissait coupable de délit d'initié. Cet ex-administrateur de ConjuChem avait acheté des actions à la veille de bons résultats et les avait revendues le jour même de l'annonce.

Mais la plus grosse affaire est sans contredit celle de Benoît Laliberté, ancien président de Jitec, qui fait actuellement face à 48 chefs d'accusation.

L'Autorité l'accuse entre autres d'avoir commis quatre délits d'initiés, soit l'achat de 200 000 actions de Jitec avant l'annonce d'un contrat de 105 millions. Son procès reprendra la semaine prochaine.

Si l'Autorité commence à montrer des dents, elle a aussi connu un revers public. Elle a retiré en juin sa poursuite contre Ghislain Morin, administrateur de Ressources Allican, faute d'une preuve suffisante.

Ce n'est pas le seul dossier qui a avorté pour cette raison, indique d'ailleurs Frédéric Alberro, porte-parole de l'Autorité.

En plus, les peines que l'Autorité a obtenues ne sont pas très dissuasives. Louis Philippe Séguin et sa firme ont été condamnés à payer une amende totalisant 35 000$. Dans le cas de Claude Vézeau, l'amende n'était que de 5000$, le double du petit profit réalisé.

N'empêche, c'est un début qu'il faut souligner. Est-ce que ce sera suffisant pour faire réfléchir les «profiteurs» au Canada, le pays où les délits d'initiés sont les plus richement récompensés dans le monde, concluait le réputé chercheur Arturo Bris?

Je vous laisse juger.

Mais au moins, cela envoie un message aux administrateurs et aux autres initiés: vous n'êtes pas complètement assurés de vous en tirer indemnes.

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