C'est un euphémisme de dire que le discours du Trône a déçu les environnementalistes, puisque les nouvelles priorités du gouvernement conservateur consacrent, pratiquement, la mort du protocole de Kyoto et de ses cibles ambitieuses pour réduire les gaz à effet de serre (GES). Pas de surprise ici.

C'est un euphémisme de dire que le discours du Trône a déçu les environnementalistes, puisque les nouvelles priorités du gouvernement conservateur consacrent, pratiquement, la mort du protocole de Kyoto et de ses cibles ambitieuses pour réduire les gaz à effet de serre (GES). Pas de surprise ici.

Ce qui étonne toutefois dans ce discours, c'est que Stephen Harper n'ait pas saisi la perche que lui ont tendue les chefs d'entreprise, ses alliés naturels. Car, pour la première fois, les verts avaient les PDG dans leur camp.

Une occasion manquée, déplore Marlo Raynolds, directeur général de l'Institut Pembina, un groupe de réflexion en environnement de Calgary.

«Nous ne nions pas que les cibles de Kyoto soient difficiles à atteindre, a-t-il dit en entrevue à La Presse. Mais ce qui est plus désolant, c'est que les conservateurs n'essayent même pas. Pas de plan, pas de signal de prix, rien. Quand tu ne t'entraînes pas fort au début de la saison de hockey, tu peux être certain que tu ne te rendras pas à la Coupe Stanley.»

Le Conseil canadien des chefs d'entreprise a dévoilé le 1er octobre un énoncé de politique en environnement.

Cet énoncé représente un coup de barre pour ce puissant groupe d'intérêt qui n'admettait même pas le réchauffement de la planète il y a cinq ans.

«Les forces du marché ne suffiront probablement pas à elles seules à relever le défi des changements climatiques», constate cet énoncé.

Les dirigeants de ces 150 grandes entreprises du Canada réclament maintenant un plan d'action cohérent qui repose sur des investissements dans les nouvelles technologies et sur des signaux de prix pour changer les comportements des entreprises et des consommateurs.

Ainsi, ces PDG ne s'opposent plus d'office à une taxe sur les émissions, même s'ils préfèrent un système qui repose sur la négociation de droits d'émissions.

En vertu d'un tel système, les émissions des entreprises sont plafonnées. Si une société excède la limite qui lui a été imposée, elle peut acquérir des droits d'une entreprise dont la production de GES est inférieure au maximum autorisé.

Bref, le débat ne porte donc plus sur le si mais sur le comment.

Ces dirigeants font écho aux réflexions de Michael Porter, le réputé professeur de Harvard, qui exhorte les entreprises à tenir pour acquis que les émissions de GES ont déjà un coût.

Si ce coût est encore sous-estimé, à preuve la modeste taxe québécoise sur les hydrocarbures, dont le gouvernement a d'ailleurs reporté la perception, il devrait mieux refléter sa valeur dans un proche avenir. Aussi bien s'y préparer et ajuster ses façons de faire.

«La réduction des gaz à effet de serre est enfin vue comme un enjeu d'affaires», note Marlo Raynolds.

Le directeur général de l'Institut Pembina est bien placé pour en parler. Ce think tank offre des services de consultation, ce que peu de gens savent au Québec, où Greenpeace et Équiterre sont mieux connus.

L'organisme fondé en 1982 à la suite d'un accident industriel qui a tué deux personnes à Lodgepole, à l'ouest d'Edmonton, évalue des technologies et offre de la formation, entre autres.

Sa filiale conseil lui assure la moitié de son chiffre d'affaires de près de 4 millions de dollars par an. Et la moitié de ses revenus conseil viennent de grandes entreprises comme Alcan.

Bref, même s'il a le look du parfait écologiste - avec la couette pré-coupe de cheveux de Steven Guilbault! - Marlo Raynolds porte aussi le chapeau de l'homme d'affaires.

Pembina ne fait pas de profits faramineux en vendant son expertise au Canada Inc., admet Marlo Raynolds. Mais cela permet à cet institut de 55 employés de recruter des experts de tous les horizons: ingénieurs spécialisés, économistes, MBA, etc.

Ce travail de consultation en entreprise influence le think tank. «Quand tu discutes avec des PDG et des administrateurs, tu comprends mieux quels sont leurs défis et leurs préoccupations. En simple, leur langage. Ainsi, nos politiques et prises de position sont mieux informées», dit Marlo Raynolds.

Il est même arrivé à Pembina de changer son fusil d'épaule à la suite d'un mandat. Une entreprise lui a demandé de soupeser les mérites des technologies de captage et d'enfouissement du dioxyde de carbone.

Règle générale, les écologistes sont critiques de ce procédé qui permet de stocker dans les profondeurs du sous-sol des GES, plutôt que de les relâcher dans l'atmosphère.

Or, les ingénieurs de Pembina ont conclu que ce procédé est intéressant si le sol le permet, si l'enfouissement est exécuté correctement et si c'est l'entreprise responsable - et non le contribuable - qui paie la note.

«Pour des raisons de géologie, cela ne fonctionnerait pas partout au Canada, mais c'est une solution pour les sables bitumineux de l'Alberta», dit Marlo Raynolds.

Jusqu'où va l'influence des entreprises clientes? Y a-t-il des tensions entre les consultants et les militants de la boîte? Bref, Pembina peut-il mordre la main qui le nourrit? You bet! répond en substance Marlo Raynolds.

Ainsi, Pembina compte parmi ses clients importants le producteur de gaz naturel et de pétrole Suncor Energy, de Calgary. Pembina conseille et forme des ingénieurs de Suncor depuis le milieu des années 90.

Il n'empêche que les avocats de Suncor et de Pembina ont croisé le fer au sujet de l'accroissement de la production du pétrole tiré des sables bitumineux Voyageur, près de Forth McMurray, un projet de 4,4 milliards de dollars.

«Nous sommes un pont entre la communauté d'affaires et les verts, dit Marlo Raynolds. Mais nous restons d'abord et avant tout un groupe environnemental.»