Les médias ont fait grand cas de la poursuite de 10 M$ que Woody Allen a intentée contre American Apparel, ce détaillant qui s'est servi sans autorisation d'une photo du cinéaste new-yorkais pour de grands panneaux publicitaires.

Les médias ont fait grand cas de la poursuite de 10 M$ que Woody Allen a intentée contre American Apparel, ce détaillant qui s'est servi sans autorisation d'une photo du cinéaste new-yorkais pour de grands panneaux publicitaires.

Mais ce recours, qui s'ajoute aux poursuites pour harcèlement sexuel intentées contre le fondateur, Dov Charney, n'est que le dernier souci d'American Apparel, s'il faut en croire le Wall Street Journal.

Ce journal américain a publié à la une de son numéro du week-end des 12 et 13 avril une enquête dévastatrice sur Dov Charney et son entreprise de vêtements de coton. Dans ce long article de 2622 mots qui n'a pas fait de bruit ici, American Apparel est dépeinte comme une entreprise complètement broche à foin.

Dès le lendemain, le titre d'American Apparel a accusé le coup à la Bourse AMEX. Il a terminé la séance à 7,48 $ US, en baisse de 10%.

L'action du détaillant ne s'en est d'ailleurs pas remise, puisqu'elle s'échangeait à 7,10 $ US mardi, loin de son sommet de 16,80 $ US de la dernière année.

Né à Westmount, Dov Charney ne laisse personne indifférent. Cet homme de 39 ans a bâti son succès en allant à contre-courant d'une industrie qui délocalise ses ateliers de confection en Asie.

Ses vêtements sont dessinés et cousus dans une manufacture au centre-ville de Los Angeles. Les couturières d'American Apparel gagnent 25 000$ par année, en moyenne, deux fois le salaire minimum aux États-Unis.

Dov Charney s'est aussi fait le champion d'une assurance santé universelle et d'une réforme de l'immigration.

L'histoire de Dov Charney est d'autant plus sexy, sans jeu de mots, qu'American Apparel emploie de jeunes filles pubères dans ses publicités, des Lolita à moitié nues photographiées dans des poses lascives.

Ces pubs sont à la limite de la porno, voire de la pédophilie. J'ai souvenir de reportages complaisants où des collègues bavaient d'envie devant le succès de Dov Charney.

Des finances d'American Apparel, on n'y voyait que dalle, puisque l'entreprise lancée en 1989 a longtemps échappé aux regards inquisiteurs du public. Le détaillant est toutefois entré en Bourse en décembre dernier, après avoir été acquis par une coquille vide, Endeavor Acquisitions Corp.

Bien que de plus en plus courante, cette façon d'ouvrir son capital est controversée, puisque moins exigeante et transparente qu'un premier appel public à l'épargne en bonne et due forme.

American Apparel doit maintenant rendre des comptes. C'est ainsi que le Wall Street Journal a pu éplucher ses déclarations aux autorités réglementaires. Celles-ci contiennent un nombre inhabituel d'admissions et de facteurs de risques.

American Apparel a ainsi reconnu qu'elle est «inexpérimentée avec les principes de comptabilité généralement reconnus aux États-Unis». À lire le reportage, c'est un euphémisme.

Si American Apparel a été contrainte d'aller en Bourse, c'est qu'elle n'avait plus assez de capitaux pour financer son ambitieux plan d'expansion. Dov Charney n'a semble-t-il qu'une idée en tête: ouvrir de nouvelles boutiques.

Le détaillant compte 187 magasins dans 15 pays, alors qu'il n'en exploitait que trois il y a cinq ans.

En 2005, le banquier de l'entreprise, U.S. Bank, de Minneapolis, a exigé qu'American Apparel trouve du financement additionnel. Mais l'entreprise a échoué et s'est trouvée en défaut de ses conditions d'emprunt.

En 2006, une firme d'investissement privée, Plainfield Asset Management, s'est montrée intéressée à investir dans le capital d'American Apparel.

Cette firme a toutefois pris ses jambes à son cou après avoir pris connaissance d'un audit qui révélait que les profits de 2005 avaient été gonflés de près de 30%.

Il faut voir que le détaillant n'avait plus de chef de la direction financière depuis la mort subite, en 2005, de Mark Schlein, qui n'a pas été remplacé pendant un an.

À l'été de 2006, Dov Charney a confié à un stagiaire qu'il avait recruté après avoir été interviewé par lui pour un travail d'université le soin de concevoir un plan pour redresser les finances de l'entreprise.

Puis, il a passé une petite annonce dans The Gazette, le journal pour lequel il avait travaillé comme camelot, pour recruter un chef de la direction financière. C'est son père, l'architecte Morris Charney, qui a filtré les candidats.

Le cadre retenu a révisé à la baisse les résultats pour les six premiers mois de l'année. U.S. Bank a aussitôt réclamé le paiement d'intérêts impayés.

Un autre investisseur, Lasalle Financial Services, a annulé un refinancement de 80 millions US en septembre 2006 à la suite d'une autre révision des résultats financiers.

L'histoire s'est répétée avec une autre firme, qui s'est désistée d'un investissement de 35 millions US en novembre après que les livres eurent été corrigés de nouveau.

Sans surprise, les deux financiers derrière Endeavor Acquisitions ont exigé de leur nouveau partenaire Dov Charney qu'il s'entoure de cadres expérimentés, dont un nouveau chef de la direction financière et un chef de l'exploitation.

Dov Charney a refusé net et il a eu le dernier mot. C'est lui qui tenait le micro à la première téléconférence d'American Apparel avec les analystes financiers de Wall Street.

Avec un effectif de 6700 employés, l'entreprise a enregistré des ventes de 387 millions US en 2007, en hausse de 36% sur le chiffre d'affaires de 2006.

Son bénéfice net s'est élevé à 15,5 millions US, un net revirement comparativement à la perte de 1,5 million US de 2006. N'eut été un gain fiscal extraordinaire, ce bénéfice se serait plutôt établi à 9,5 millions US.

Un nuage noir plane sur l'entreprise: sa dette de 116,8 millions US en date du 17 mars. C'est sans parler des frasques de Dov Charney, un collectionneur de revues porno vintage qui aime se promener en bobettes au bureau!

American Apparel n'a pas réussi à s'entendre à l'amiable avec son ancienne employée Mary Nelson, qui a déposé une plainte pour harcèlement sexuel au travail.

C'est la quatrième poursuite de la sorte qui vise Dov Charney; deux autres ont été réglées à l'amiable, alors qu'une autre a été abandonnée. American Apparel clame son innocence.

L'ancien assureur de l'entreprise refuse de payer la défense de Dov Charney, jugeant qu'il n'avait pas été informé des antécédents du fondateur d'American Apparel, ce que l'entreprise conteste.

Par ailleurs, American Apparel a admis faire l'objet d'une vérification fiscale du gouvernement. Les autorités de l'immigration ont aussi demandé à contrôler les papiers d'identité des employés de l'usine de Los Angeles.

Que dire, sinon qu'un investisseur averti en vaut deux.