Les chefs syndicaux ne cachent pas leur indignation devant les négociations visant à faciliter les échanges entre les provinces canadiennes. Pour le président de la FTQ, Michel Arsenalt, le «modèle québécois» est en péril, rien de moins: finis les garderies subventionnées, les bas tarifs d'électricité, l'assurance automobile!

Les chefs syndicaux ne cachent pas leur indignation devant les négociations visant à faciliter les échanges entre les provinces canadiennes. Pour le président de la FTQ, Michel Arsenalt, le «modèle québécois» est en péril, rien de moins: finis les garderies subventionnées, les bas tarifs d'électricité, l'assurance automobile!

Mais qu'est-ce qui peut susciter autant de méfiance? Voyons d'abord ce dont il s'agit.

Réunis à Québec cette semaine, les premiers ministres provinciaux se sont entendus pour dénouer deux entraves à la libre-circulation des personnes et des marchandises au Canada. Leur projet prévoit deux choses. Un nouveau mécanisme d'arbitrage servira à régler les conflits commerciaux entre les provinces. Et à compter du 1er avril 2009, un diplôme ou un permis de travail délivré dans une province sera automatiquement reconnu dans toutes les autres provinces.

Ces mesures constituent un déblocage majeur dans un dossier qui pourrit depuis trop longtemps.

Les provinces canadiennes jouissent d'une large autonomie et elles en ont profité pour ériger des barrières protectionnistes. Il est évidemment impossible d'imposer des barrières tarifaires interprovinciales, mais les provinces disposent d'un arsenal fort étendu de moyens pour nuire à la concurrence des autres provinces: lois et règlements, prétextes variés (hygiène publique et environnement sont fréquemment utilisés), mesures vexatoires, politique d'achat des ministères et agences gouvernementales, entre autres.

Lorsque le traité de libre-échange avec les États-Unis est entré en vigueur, en 1988, on s'est aperçu qu'il était plus facile, pour beaucoup d'entreprises canadiennes, de faire des affaires au sud de la frontière plutôt qu'entre les provinces.

Tout le monde était bien conscient que la situation frisait le ridicule. En 1995, les gouvernements fédéral et provinciaux concluent un «Accord sur le commerce intérieur», mais celui-ci ne sera jamais pris au sérieux par les provinces, et donnera peu de résultats (il permettra, entre autres, la libéralisation partielle du commerce de la bière).

Les provinces préfèrent conclure des ententes séparées et souvent sans impact majeur. Le Québec et l'Ontario, par exemple, ont conclu un accord de portée limitée sur la mobilité de la main-d'oeuvre dans le secteur de la construction.

En 2007 survient un déblocage majeur: deux importantes provinces, l'Alberta et la Colombie-Britannique, signent un accord historique sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre, mieux connu sous son acronyme anglais de TILMÀ (Trade, Investment and Labor Mobiliby Agreement). Cela signifie qu'à compter de 2009, les deux provinces ne constitueront qu'une seule entité sur le plan économique. La mobilité de la main-d'oeuvre y sera totale. Un avocat albertain pourra pratiquer et plaider partout en Colombie-Britannique, et vice-versa. Les entreprises n'auront besoin que d'un seul permis d'affaires, valide partout et sans restriction dans les deux provinces. L'investissement sera soumis à une réglementation commune aux deux provinces.

Le TILMÀ est observé avec beaucoup d'attention dans les autres provinces; au moins deux d'entre elles, la Saskatchewan et l'Ontario, envisagent d'y adhérer.

Si cela se produit, il y aura de facto libre-circulation de la main-d'oeuvre, des investissements et des marchandises sur un territoire comptant pour 66% de la population canadienne et 74% de son Produit intérieur brut.

Personne ne peut plus ignorer le mouvement.

C'est une très bonne chose. Les entraves au commerce servent à protéger des entreprises inefficaces et contribuent à maintenir les prix élevés; c'est le consommateur qui paie la note. Les entraves à la mobilité de la main-d'oeuvre limitent les perspectives d'emploi et pénalisent les travailleurs. Les entraves à l'investissement freinent la création de richesse, et c'est la qualité de vie de l'ensemble des citoyens qui en pâtit.

Le monde syndical croit voir, surtout dans la mise sur pied d'un mécanisme de résolution des conflits, une sorte de complot pour dépouiller les provinces de leurs pouvoirs, au profit des entreprises privées. C'est loin d'être évident, notamment parce que le mécanisme sera à l'usage exclusif des gouvernements provinciaux. Une entreprise n'aura pas le droit d'y recourir si elle estime être victime de concurrence déloyale; l'affaire se réglera entre gouvernements.

Mais surtout, le lobby syndical nous a habitués depuis longtemps aux campagnes de peur.

Rappelons-nous, il y a 20 ans, les arguments invoqués contre le libre-échange, et qui apparaissent comme singulièrement stupides avec le recul du temps: les armes à feu allaient être mises en vente libre au Canada; le régime public d'assurance-maladie disparaîtra; vous aurez besoin de votre carte Visa pour être admis à l'hôpital; le Québec sera obligé de démanteler la Caisse de dépôt; les droits de scolarité grimperont à 20 000$. J'en passe...

Lorsque le Mexique a adhéré au traité, en 1994, on a ressorti un autre catalogue d'épouvantails: les usines canadiennes déménageront au Mexique, des milliers d'emplois seront perdus, le chômage grimpera en flèche, les salariés qui veulent garder leurs emplois devront accepter des conditions de travail misérables. Certes, le secteur manufacturier a été passablement malmené, mais cela n'a rien à voir avec l'ALENA, et beaucoup avec la Chine et la force du huard. Et le taux de chômage n'a jamais été aussi bas en 30 ans!

Lors de la signature du TILMA, il y a un peu plus d'un an, le même lobby a resservi son même cocktail d'épouvante.

Assez, assez, assez! Une plus grande mobilité de la main-d'oeuvre et la mise sur pied d'un mécanisme de résolution des conflits interprovinciaux sont deux améliorations qui profiteront à tout le monde. Le lobby syndical peut bien hurler tant qu'il veut. À force de crier au loup pour rien, personne ne le croit plus.