Si vous vous intéressez le moindrement aux techniques de construction, vous connaissez déjà le viaduc de Millau, que les spécialistes considèrent comme une prouesse architecturale sans égale.

Si vous vous intéressez le moindrement aux techniques de construction, vous connaissez déjà le viaduc de Millau, que les spécialistes considèrent comme une prouesse architecturale sans égale.

Millau est une petite ville située près de Montpellier, dans le sud de la France.

L'autoroute 75, un des quatre grands axes autoroutiers qui traversent la France du nord au sud, passe par là. Or, jusqu'à récemment, cette superbe autoroute était en quelque sorte coupée en deux. À la hauteur de Millau, le Tarn a creusé une immense et profonde vallée.

L'autoroute s'arrêtait donc à Millau; les automobilistes (et les poids lourds) devaient faire un long détour pour gagner l'autre côté de la vallée et retrouver la 75. Comme on s'en doute, cela causait d'énormes problèmes de circulation. L'endroit a ainsi hérité du douteux surnom de «bouchon de Millau».

Depuis deux ans, le problème est résolu. Les deux parties de l'autoroute sont maintenant reliées par un superbe viaduc de 2,5 kilomètres. Superbe? Le mot est faible. Avec ma conjointe, je viens de passer quelques semaines de vacances en France, et nous en avons profité pour visiter le viaduc. «En personne», si j'ose dire, il est encore plus impressionnant qu'en photo.

De loin, on peut apercevoir l'époustouflante silhouette du viaduc, dont le tablier, le plus haut au monde, est soutenu par d'élégants haubans amarrés à de minces piliers aux formes élancées.

Le plus haut de ces piliers fait 343 mètres; c'est, de loin, le plus haut au monde, un autre record.

Même de près, il s'en dégage une inoubliable impression d'harmonie, de légèreté et de délicatesse. Il ne faut pas s'y tromper: le viaduc est en fait une solide construction ayant nécessité 206 000 tonnes de béton.

Et aussi fragiles qu'ils puissent paraître, les haubans supportent facilement un tablier de 36 000 tonnes, quatre fois le poids de la tour Eiffel.

Près de 12 000 véhicules par jour franchissent le viaduc, mais sa capacité est nettement supérieure à cela: en août dernier, en une seule journée, il a été emprunté par 54 000 véhicules. Cela ne fait pas peur aux architectes, tellement sûrs de leur affaire que l'ouvrage est garanti pour 120 ans.

Évidemment, à Millau, on jubile. Les touristes viennent de partout pour admirer le viaduc.

Millau connaît depuis deux ans un véritable boom économique. Le maire de l'endroit n'hésite pas à faire dans l'hyperbole: «Désormais, a-t-il déclaré, on connaît Millau comme on connaît Shanghai ou New York» Bon, un peu gros, peut-être, mais sincère.

Toujours est-il que ce chef-d'oeuvre a été construit au coût de 400 millions d'euros (600 millions de dollars canadiens).

Et maintenant, le plus beau:

> L'échéancier a été scrupuleusement respecté. Le 14 décembre 2001, le ministre français des Transports pose la première pierre. Le 14 décembre 2004, trois ans plus tard jour pour jour comme prévu, le président Chirac préside la cérémonie d'inauguration.

> Il n'y a eu aucun dépassement de coût. Le budget original était de 400 millions d'euros, on a réalisé l'ouvrage pour 400 millions d'euros. C'est aussi simple que cela.

> Le viaduc ne coûte rien aux contribuables français. Tous les risques (financement, conception, construction, exploitation et entretien du viaduc) sont assumés par une entreprise privée, la CEVM (Compagnie Eiffage du Viaduc de Millau), une filiale du groupe Eiffage. Le groupe, dont le chiffre d'affaires atteint 10 milliards d'euros, est spécialisé dans les partenariats public-privé (PPP).

La CEVM a négocié une concession de 75 ans avec le gouvernement français.

Pendant cette période, Eiffage compte récupérer son investissement et réaliser des profits grâce au péage.

Le concessionnaire n'a toutefois pas les pleins pouvoirs; les tarifs doivent être approuvés par le ministère des Transports. Présentement, pour une voiture, il en coûte 5,4 euros (environ huit dollars) pour franchir le viaduc. En haute saison, le tarif passe à sept euros. Ce n'est pas cher, je trouve.

De toute façon, ceux qui trouvent cela trop cher peuvent toujours passer par l'ancien détour de la vallée. Visiblement, ce n'est pas le premier choix des automobilistes: après deux ans d'exploitation, l'achalandage est de 8% supérieur aux prévisions.

Le viaduc de Millau est un exemple parfait de PPP réussi. C'est le principe de l'utilisateur-payeur qui s'applique. Le gouvernement, c'est-à-dire l'ensemble des contribuables, ne paie rien et ne prend aucun risque.

Au bout de 75 ans, la concession expire et le viaduc revient à l'État, à moins que les deux parties s'entendent sur une prolongation. Une clause prévoit cependant que le gouvernement peut acquérir le viaduc au bout de 41 ans, en versant une compensation financière à la CEVM.

Millau n'est pas un cas unique. Ceux qui sont habitués à voyager en France ont déjà pu apprécier l'exceptionnelle qualité des autoroutes françaises exploitées selon la formule des PPP.

Au Québec, le gouvernement Charest compte appliquer la formule pour le prolongement de l'autoroute 25, Dans les milieux syndicaux québécois, il existe un fort courant anti-PPP, beaucoup plus idéologique que pratique.

Déjà, la CSN et la FTQ ont publié un communiqué dénonçant «toute réalisation en PPP qui ne peut avoir comme conséquence que de brader nos services publics aux mains des transnationales qui ne pensent qu'au profit».

Du prolongement du métro à Laval au siège de la Caisse de dépôt en passant pas la Gaspésia, il ne manque pourtant pas d'histoires d'horreur au Québec, et on a été capable de faire ces désastres sans l'aide des transnationales.

Peut-être que les bonzes du lobby anti-PPP québécois seraient-ils bien inspirés d'aller faire un tour du côté de Millau...