L'autre jour, je suis tombé par hasard sur une émission radio où sévissait le comptable Léo-Paul Lauzon.

L'autre jour, je suis tombé par hasard sur une émission radio où sévissait le comptable Léo-Paul Lauzon.

Au bout de trois minutes, j'en avais assez entendu et j'ai zappé ailleurs. En ce cours laps de temps, M. Lauzon a trouvé le moyen de commettre deux énormités.

Ainsi, le comptable a cité le World Economic Forum, une organisation reconnue, entre autres, pour son classement annuel des économies les plus compétitives de la planète.

M. Lauzon a affirmé que les économies les plus compétitives sont celles de la Finlande, de la Suède, du Danemark, des pays où le fardeau fiscal est élevé.

Comme quoi, conclut-il, on peut avoir une lourde présence de l'État dans l'économie sans nuire à la compétitivité. Présenté de cette façon, en effet, on peut le penser.

Sauf que les choses ne sont pas aussi simples.

Au palmarès de cette année, il est vrai que ces trois pays détiennent respectivement la deuxième, la troisième et la quatrième place. C'est une excellente performance. Mais la première place va à la Suisse.

Les trois pays scandinaves, par ailleurs, sont talonnés de près, dans l'ordre, par Singapour, les États-Unis, le Japon, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et Hong Kong.

Autrement dit, dans le peloton de tête, on retrouve toutes sortes de modèles, dont certains sont aux antipodes du modèle suédois.

La classement du World Economic Forum est fondé sur une enquête auprès d'économistes, gens d'affaires, gestionnaires, dirigeants politiques et autres décideurs.

Les répondants doivent évaluer les pays en fonction d'une centaine de critères regroupés autour de grands thèmes: solidité des institutions, santé de l'économie, qualité des infrastructures, etc.

Cette méthodologie est rigoureuse, mais peut donner des résultats hautement volatils. Ainsi, l'an dernier, la première place revenait aux États-Unis. La Suède, troisième cette année, ne pouvait faire mieux qu'une septième place il y a un an.

Ce classement n'est pas le seul. À chaque année, l'IMD (International Institute for Management Development) publie également un palmarès qui fait autorité, le World Competitiveness Yearbook.

En gros, dans les deux classements, on retrouve à peu près les mêmes pays dans le peloton de tête, mais dans un ordre différent. Ainsi, au palmarès de l'IMD, les meilleurs élèves sont, dans l'ordre, les États-Unis, Singapour, Hong Kong, le Luxembourg, le Danemark et la Suisse.

Dans ces conditions, il est hautement imprudent de conclure à la supériorité de quelque modèle que ce soit, d'autant plus que les bonnes notes des pays scandinaves ne sont pas nécessairement liées à leur approche prétendument social-démocrate.

Si le Danemark figure si bien au classement, c'est entre autres pour la souplesse de son marché du travail: pas de salaire minimum, sévères pénalités pour les chômeurs qui refusent un emploi.

Essayons d'imaginer ce qui se passerait au Québec si le gouvernement Charest s'avisait de supprimer le salaire minimum!

M. Lauzon s'en est aussi pris aux REER, qu'il décrit comme un abri fiscal pour les riches. Les REER, a-t-il, dit, coûtent quatre milliards par année au gouvernement, et ils profitent aux gens qui peuvent se permettre de cotiser 19 000$ cette année.

Le raisonnement est aussi court que grossier.

Vrai, plus on est riche, plus on contribue aux REER, ce qui est normal: on a plus d'argent à investir! Et comme les riches paient plus d'impôts, ils sont davantage motivés à déposer dans un REER.

Pour mémoire, on peut rappeler qu'au Québec, les contribuables gagnant 50 000$ ou plus représentent 17% de l'ensemble des contribuables, mais paient 66% des impôts.

Autrement dit, une petite minorité de citoyens supporte à elle seule les deux-tiers du système. Les plus riches, ceux qui gagnent 100 000$ et plus, comptent pour 2,6% des contribuables et paient 26,4% des impôts.

Le montant de 19 000$ représente effectivement le montant maximum que vous pouvez contribuer à un REER, mais ce chiffre ne correspond à aucune réalité. La contribution moyenne, au Québec, est de 4014$.

Même chez les contribuables dont les revenus dépassent 100 000$, la contribution moyenne se situe à 10 323$. Chez le petit nombre de gens gagnant plus de 200 000$ (moins de un demi de un pour cent des contribuables), la contribution moyenne est de 14 251$. On est encore loin du maximum.

L'an dernier, 1,5 million de Québécois ont contribué 6,1 milliards dans les REER. Les contribuables à revenus moyens (25 000 à 70 000$) comptent pour 67% de ces cotisants et leurs contributions s'élèvent à 3,4 milliards, 73% du total.

La réalité, c'est que de nombreux Québécois profitent des REER, y compris, massivement, les ménages à revenus moyens. On est à des années-lumière, en tout cas, de l'«abri fiscal pour les riches».

D'autant plus que le gouvernement y gagne au change. Les REER permettent à des millions de gens d'arriver à l'âge de la retraite avec des revenus suffisants pour ne pas dépendre des gouvernements.

Quant au chiffre de quatre milliards, on se demande d'où il sort. Certes, en 2006, l'ensemble des mesures fiscales de soutien à la retraite représente une dépense de 4,2 milliards pour le gouvernement. Mais les REER comptent à peine pour la moitié de ce montant.

Pour en arriver à quatre milliards, il faut ajouter les déductions des cotisations aux caisses de retraite, le crédit d'impôt pour revenus de retraite et le crédit d'impôt en raison d'âge. Méchants abris fiscaux!

Devant des animateurs incapables de donner la réplique, il est assez simple de garrocher comme cela des demi-vérités, des chiffres trafiqués, des raccourcis faciles. Dommage. Il y a certainement place, au Québec, pour un discours de gauche plus articulé, plus rigoureux et plus respectueux.